lundi 5 août 2013

Un conseil important pour les pilotes du dimanche frileux

Il y a environ une semaine de cela, j'ai eu l'occasion de discuter avec un ami pilote de ligne chez Delta. Comme nous partageons la même passion et pratiquons la même activité, mais lui en tant que professionnel, et moi en tant qu'amateur, notre discussion s'est rapidement focalisée sur nos expériences respectives du pilotage, notamment dans le Michigan.

Il me raconta ainsi qu'à l’époque où, jeune pilote privé, il volait sur les coucous avec lesquels je m'amuse moi-même, il avait prévu de voler une nuit, en plein hiver, seul sur un petit terrain de la région. Je peux vous dire que l'hiver dans le Michigan, voisin du Canada, est particulièrement rude. C'est ainsi qu'il procéda à la visite pré-vol (vérification extérieure de l'avion destinée à s'assurer qu'il n'y a aucune anomalie apparente) rapidement, et sans ôter ses gants. Il n'allait pas tarder, si je puis dire, à s'en mordre les doigts...


N'ayant rien décelé de particulier, il s'aligna bientôt sur la piste et mit plein gaz, mais lorsqu'il dépassa la vitesse de rotation (vitesse lors de laquelle le pilote peut tirer sur le manche et libérer la roulette de nez), il remarqua que l'avion, étrangement, ne prenait pas d'altitude.

Intéressé par ce récit, je hasardai un phénomène de second régime (c'est une situation lors de laquelle l'avion évolue avec une faible vitesse, une altitude constante et un angle d'attaque élevé ; l'avion n'a plus de réserve de puissance pour accélérer et s'il est déjà plein gaz, le pilote doit pousser le manche pour baisser le nez et acquérir un peu de vitesse au prix d'une perte d'altitude, comme indiqué ici). Ce n'était toutefois pas le cas : mon ami conservait une vitesse relativement élevée pour une phase de décollage, et son incidence restait modérée.

Le problème est qu'un bâtiment se trouvait au bout de la piste, et qu'il fonçait vers lui, faute de pouvoir prendre de la hauteur et l'éviter. Il eut la présence d'esprit de dévier légèrement la trajectoire de son appareil, afin de ne pas perdre le peu d'altitude qu'il avait pu acquérir, ce qui lui permit d'éviter l'obstacle et les arbres qui se trouvaient autour de lui. L'erreur ici aurait été de tirer abruptement sur le manche ou de virer franchement : dans les deux cas il risquait de façon quasi-certaine un décrochage fatal.

Il ne comprit que plus tard l'origine du comportement étrange de son avion : une mince couche de glace s'était formée sur l'extrados (la partie supérieure de l'aile), augmentant le poids de l'appareil, mais surtout modifiant considérablement le profil des ailes, ce qui fit chuter la portance.

Il faut en effet savoir que la portance d'un avion (la force qui s'oppose au poids lorsque l'appareil vole en palier), est créée grâce à la différence de pression entre l'extrados et l'intrados (la partie inférieure) : selon la loi de Bernoulli, et du fait de la conservation de l’énergie, plus un courant d'air est rapide, plus sa pression est faible, et vice-versa. Or l'extrados est bombé par rapport à l'intrados, ce qui fait que les filets d'air au-dessus de l'aile sont plus resserrés que ceux passant en dessous, augmentant ainsi leur vitesse (conservation du débit) avec pour conséquence une diminution de la pression par rapport à l'intrados : l'avion est donc aspiré vers le haut. Lorsqu'une couche de glace se forme sur la partie supérieures de l'aile, le chemin suivi par les filets d'air est modifié, ce qui peut entraîner un décollement local, un peu comme dans le cas d'un décrochage, et donc une perte spectaculaire de portance. On le voit donc, un tel dépôt, même avec une faible épaisseur, peut entraîner des effets catastrophiques.


La marche à suivre est donc, lors de la visite pré-vol, de passer ses doigts sur l'extrados des ailes pour vérifier qu'il n'est pas gelé, quitte à ôter ses gants pour bénéficier d'une meilleure sensation de toucher, ce que ne fit pas mon ami lors de ce vol qui faillit lui être fatal, sans doute à cause du froid , et pressé de retrouver la chaleur de la cabine.

Pour conclure, il est possible de souligner ici l'intérêt des avions à ailes basses, car le pilote dispose d'un accès facilité aux extrados comparé aux avions à ailes hautes qui l'obligent souvent à utiliser une échelle. Ainsi donc, encore une fois, préférez les Robin aux Cessna !

L'ami des pilotes frileux (oui enfin, vous n’êtes pas obligés de vous procurer des mitaines aussi moches, hein, la sécurité ne vous empêche pas de faire preuve de bon goût ...)

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