Quand nous
arrivâmes, Holmes et moi, sur les lieux du crime, un modeste
appartement parisien situé dans un quartier que l'on pourrait
qualifier de bourgeois, nous fûmes
immédiatement surpris par le nombre de policiers affairés autour du
corps gisant sur le parquet du salon, si bien que nous ne pouvions a
peine le discerner.
- Tiens,
tiens, me déclara mon compagnon, la pauvre victime a l'air d’être
une personnalité des plus en vue. Cette affaire serait-elle d'une
importance capitale ?
- Vous ne
croyez pas si bien dire, monsieur Holmes, fit une voix familière
derrière nous.
Nous nous
retournâmes sur le champ. L'inspecteur Lestrade, notre vieille
connaissance, s’avança vers nous en nous tendant la main.
- Lestrade! Je
ne savais pas que vous aviez rejoint la police française! dit Holmes
sur un ton narquois.
- Détrompez-vous
Holmes, je travaille toujours pour Scotland Yard qui m'a dépêché
ici pour prêter main forte aux policiers français, vu la gravité des faits. Il semblerait que les continentaux soient incapables de
résoudre une affaire sans notre concours!
Holmes
bourra sa pipe en silence, et l'alluma, avant de poursuivre :
- Je vois, mon
cher Lestrade, que votre séjour parisien ne se passe pas sans
désagrément. Mais ne pensez-vous pas qu'il y a une autre
alternative que le Vélib
pour vous rendre sur les lieux de votre enquête?
Lestrade ne
put cacher son profond étonnement :
- Voyons
Holmes, comment savez-vous que j'ai pris un de ces fichus Vélib?
Vous m'avez vu dans la rue?
- Pas du tout,
répondit mon ami en souriant, mais j'ai noté que vous étiez arrivé
assez tard sur les lieux du crime, d’après votre appel
téléphonique, alors que visiblement ces policiers sont ici depuis
plusieurs heures. Comme votre ponctualité est légendaire, j'en
conclue que cela est plutôt dû
à un problème de déplacement. Comme je connais votre horreur des
transports collectifs, je subodore que vous avez d'abord essayé de
trouver un taxi parisien, mais que vous n'avez pas réussi, du fait
de la grève qui touche en ce moment cette profession. Devant cet
échec vous avez finalement consenti, de guerre lasse, à prendre le
métropolitain, mais la malchance a voulu que, comme vous n'avez pas
votre langue dans votre poche, vous soyez entré en conflit avec
l'une des multiples bandes de racailles venues de banlieue qui
pullulent dans ce lieu et importunent les passagers. Les nombreux
crachats sur votre manteau, et les traces de coup sur votre visage en
attestent. Dégoûté vous avez alors cherché un autre moyen de
transport, et vous avez donc tenté votre chance avec un Vélib,
ou plutôt deux ou trois, le temps de trouver un engin en état de
marche parmi les nombreux exemplaires défectueux, ce qui vous a fait
perdre encore plus de temps, mais malheureusement pour vous, encore
une fois, vous avez eu un accident, vraisemblablement avec un
chauffard parisien sans doute rendu fou par les multiples bouchons
provoqués par les couloirs de bus que Delanoë
a cru bon de multiplier. En effet vous boitez mon cher.
Sachant tout cela je ne peux que vous conseiller de marcher. Paris
n'est pas une ville très étendue, et c'est sans doute le meilleur
moyen d’éviter nombre de désagréments!
- Mffff... je
vois que l'on ne peut rien vous cacher, monsieur Holmes, mais
occupons-nous de notre affaire voulez-vous? Nous dit-il en nous
montrant le cadavre du doigt.
Il
s'agissait d'une vieille femme à la toilette fort digne et soignée,
mais qui semblait avoir connu des jours meilleurs. La malheureuse
gisait sur le ventre, au milieu de la pièce, mais aucune trace de
sang n’était visible.
- D’après
les informations que nous avons pu recueillir, cette femme avait pour
nom de famille Langue et pour prénom Française. Elle est âgée de
plusieurs centaines d’années d’après sa carte d’identité,
possède de nombreux parents en Europe, dont plusieurs sœurs qui ont
pour prénoms Espagnole, Italienne, ou Portugaise. Ses parents,
aujourd'hui décédés, avaient pour prénoms Latin et Hélène
(Logos de son nom de jeune fille). Elle aurait plusieurs descendants,
dont un certain Franglais, son fils naturel né de père inconnu, un
petit voyou qui fréquente des individus douteux, et qui entretenait
avec sa mère des rapports plus que conflictuels. Autant vous le
dire, Holmes, c'est notre suspect numéro un!
- Je vois, fit
simplement Holmes, pensif. Que dit le rapport du médecin-légiste?
- Madame
Langue a été assassinée par un instrument contondant ayant
violemment heurté la partie postérieure de son crâne,
sans doute avec cet extincteur que vous voyez là,
sur le sol, comme dans la chanson de Gainsbourg, ce qui renforce nos
soupçons contre le dénommé Franglais, ce dernier étant d’après
no sources un grand admirateur du musicien français.
- Intéressant,
répondit Holmes en sortant sa loupe afin d'examiner plus
attentivement le cadavre.
- Mais je ne
vous ai pas encore parlé de ceci, ajouta Lestrade sur un ton
théâtral, regardez!
L'inspecteur
nous tendit triomphalement une simple feuille de papier.
- Nous l'avons
trouvée sur le corps. Lisez-là,
l'assassin a clairement voulu signer son “œuvre”!
Holmes et
moi nous penchâmes sur le message visiblement griffonné à la hâte,
et qui était rédigé en ces termes :
“Enfin la
vieille ne protestera plus! Elle s'est bien débattu face à moi, la
garce, mais j'ai réussi à la neutralisé après un long combat et
je l'ai ainsi tué après qu'elle ait été réduite à
l'impuissance! Il y a donc un obstacle de moins pour le succès de ma
mission qui est, en tant que phare de la pensée, en tant
qu'intellectuel vivant, d’éclairer les pauvres âmes égarées, de
leur apporter la Vérité! Il y a encore beaucoup à faire, mais moi
et mes confrères, qui sommes les piliers de la démocratie, et sans
qui rien n'est possible, saurons faire triompher le progrès! Nous
aurons bien mérité la générosité de l’État”
- De toute
évidence, Holmes, il s'agit d'un détraqué, d'un malade,
commentai-je. L'auteur de ce meurtre sordide est vraisemblablement un
déséquilibré!
- Sans doute
Watson, me répondit Holmes, l'air évasif, sans doute, mais malade
ou pas, ce message anonyme comporte quelques éléments intéressants.
Notez tout d'abord, Watson, les fautes qui parsèment le texte. Par
exemple la confusion entre l'infinitif et le participe passé,
l'utilisation du subjonctif après “après que”... tout ceci
trahit un esprit peu scrupuleux avec la syntaxe. Vous pouvez
également remarquer que l'homme en question – s'il s'agit bien
d'un homme – se considère en quelque sorte comme un individu très
important, supérieur, le centre du monde en quelque sorte. Il se
voit comme devant remplir une mission. Il s'agit typiquement du genre
d'individu prêt à faire la morale à tout le monde, persuadé qu'il
est de détenir la Vérité! Bref il y a de fortes chances que le
meurtrier soit ce que l'on appelle un bobo, ou tout du moins
fréquente le monde des bobos. De plus l'homme est, nous le savons
évidemment, capable de tuer sans remord, et est sans doute agressif
de nature à en juger par l'utilisation de certains mots comme
“garce”.
- Un individu
violent se prenant pour le centre du monde, croyant détenir la
Vérité et prêt à donner des leçons de morale à tout le monde...
Bertrand Cantat? Gérard Miller ? hasardai-je.
- Il y a de
l’idée dans ce que vous dites, Watson, fit Holmes en bourrant de
nouveau sa pipe, mais permettez-moi d’émettre quelques réserves.
En effet si Bertrand Cantat est une ordure violente – et il faut en
être une pour commettre un tel forfait – et un donneur de leçon
particulièrement irritant, il se trouve qu'il reste l'un des rares
bobos à être plutôt en bons termes avec cette Langue Française,
et je ne l'imagine pas lui porter préjudice. Quant à Gérard
Miller, s'il s'agit effectivement d'un petit roquet insupportable,
moralisateur jusqu’à la nausée, résistant de salon, et persuadé d’être du coté du Bien, il se trouve qu'il a plutôt le profil
d'un lâche incapable d'agir, et prêt à se dissimuler dans le
premier terrier venu s'il faut en venir aux mains. Dans ces
conditions je le vois mal perpétrer un tel acte. En bref, et si je
devais être un peu vulgaire, Watson, je dirais que Gérard Miller
n'a pas les... disons... couilles nécessaires.
- Oui, je
crois que vous avez raison Holmes, mais alors quoi? Un militant des
jeunesses socialistes?
- Il est vrai
que beaucoup d'entre eux sont prêts à faire subir à cette pauvre
Langue Française les pires sévices. Le résultat d’années
catastrophiques passées sur les bancs de l’Éducation Nationale.
Ils sont de plus, pour beaucoup, particulièrement hautains dans leur
délire, celui consistant à penser qu'eux seuls détiennent la
Vérité et que les autres devraient dès
lors être réduits au silence. C'est ainsi qu'il suffit de croiser
un seul de ces jeunes socialistes pour douter immédiatement et
absolument de l'existence de Dieu, attendu qu'un être parfait
pourrait difficilement avoir façonné une créature aussi
consternante et nuisible, ou alors un soir de cuite de compétition... mais je voudrais attirer votre attention sur trois points précis,
Watson!
- Lesquels
Holmes? répondis-je avec
curiosité.
Je m’aperçus
que Lestrade ne perdait pas un mot de notre conversation.
- Et bien tout
d'abord, l'auteur du message affirme que la vieille femme s'est bien
battue, or regardez autour de vous, le salon est intact, tout est à
sa place. De plus j'ai observé attentivement le corps : à part le
coup sur la tête il n'y a aucune trace de blessure. Tout porte en
réalité à croire que la vieille dame a été attaquée par
surprise et de dos. Autrement dit elle n'a pas dû
opposer la moindre résistance, ce qui laisse penser que ce qui est
écrit dans le message n'est pas conforme à la réalité. J'attire
de plus votre attention, Watson, sur l'emploi du mot “confrère”,
terme souvent employé par des individus appartenant à une catégorie
professionnelle bien précise. Enfin, ladite profession semble
bénéficier de cadeaux généreux de l’État, à en juger par la
dernière phrase.
- Une
profession bien précisé? Fis-je, quelque peu surpris
- Oui, Watson,
vous ne voyez toujours pas? Je résume : nous avons affaire à un
être prêt a massacrer une certaine Langue Française sans le
moindre remord, vaniteux à l’excès et se prenant pour un penseur
inestimable devant éclairer le bas peuple. Il a de plus pour manie
de prendre beaucoup de libertés avec la réalité dans ses
compte-rendus, a pour habitude d'appeler les autres personnes qui
pratiquent son activité “confrères”, et dépend fortement de
l’État”. Alors, Watson?
La lumière
se fit subitement dans mon esprit :
- Un
journaliste français! Nous écriâmes en chœur Lestrade et moi.
Holmes
esquissa un petit sourire.
- Tout juste
messieurs! Je ne vois guère qu'un journaliste français pour
commettre un tel crime envers cette pauvre Langue Française, à, si
vous me pardonnez l'expression, péter ainsi bien plus haut que son
cul, à se prendre pour le centre du monde et le rempart de la
démocratie, et à travestir ainsi la vérité. Avouez messieurs que
notre champ de recherche s'est considérablement resserré!
- Mais,
déclara Lestrade, un journaliste français ce n'est pas ça qui
manque, il y en a partout!
- Précisément
Lestrade! Les journalistes du type que j'ai décrit pullulent dans
les rédactions des grands quotidiens comme Le Monde, Le Figaro,
Libération et bien entendu l’Humanité, organes qui reçoivent,
comme chacun sait, de généreuses subventions de l’État. Mais
nous ne devons pas non plus négliger la presse télévisée et
radiophonique. Sans oublier également internet, messieurs! Le sieur
Edwy Plenel, du site Mediapart, me semble être un suspect de choix
dans cette affaire! J'aimerais lui rendre une petite visite...
- Je vois
Holmes. Beau travail, comme toujours, répondit Lestrade avec une
légère grimace. Je vais informer mes hommes de vos conclusions.
- Merci
Lestrade. Je crois que vous êtes allé un peu vite en besogne en
soupçonnant ce pauvre Franglais... sauf si bien entendu celui-ci a
des rapports avec la presse!
- Maintenant
que j'y pense, Holmes, nous savons que Franglais effectue de nombreux
petits boulots à droite et à gauche. Il est notamment pigiste pour
un certain nombre de magazines culturels qui se veulent “dans le
vent”, à commencer par “les Inrockuptibles”!
- "Les
Inrockuptibles"! S’écria Holmes en lâchant sa pipe. Mon dieu
Lestrade, songez que les journalistes qui travaillent pour ce
magazine ont eu à subir Audrey Pulvar comme directrice de l’éditorial Des individus capables de supporter Audrey Pulvar durant
plusieurs mois sont prêts à tout, Lestrade, et surtout aux pires
horreurs! Songez que beaucoup d'entre eux ont dû
subir un véritable lavage de cerveaux pour être capables d'endurer
pareille torture!
- Oui, Holmes,
je crois que vous avez raison, lui rétorqua Lestrade, soucieux.
- Plus un mot! fit Holmes en remettant son manteau et en se dirigeant vers la porte.
Nous devons nous rendre à la rédaction des « Inrocks »
sans plus attendre! Qui sait quel mauvais coup ils sont peut-être en
train de préparer...!
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