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Gaston, sympathique employé de bureau sans histoire, vient de mourir, ce qui est fort triste et regrettable, mais que voulez-vous, c’est la vie. Il se trouve cependant que, contrairement à d’autres âmes ainsi libérées de cette vallée de larmes et ayant l’opportunité d’accéder au paradis, à l’enfer ou de connaître les joies de la réincarnation sous la forme d’un suppositoire, Gaston, lui, se voit renaître sous les traits blanchis et quelque peu transparents d’un spectre. Voila qui va surprendre plus d’un ami de notre jovial trépassé, surtout que jusqu'à présent il n’était venu à l’idée d’aucune de ses connaissances d’associer les mots « Gaston » et « esprit », mais nous nous égarons…
Notre vaporeux héros commence sa nouvelle carrière en assistant, invisible, à l’émouvante cérémonie funèbre en son honneur, sentant son petit cœur de défunt se serrer au spectacle de ses proches en larmes, mais il est déjà tard et il doit se diriger vers un nouveau lieu qu’il hantera consciencieusement comme tout bon spectre qui se respecte, ce qui lui permettra d’échapper au spectacle navrant des mêmes proches s’étripant un peu plus tard chez le notaire pour des questions d’héritage…
Comme pour les chats coincés dans les arbres il est parfois nécessaire d’appeler les pompiers pour aider un fantôme incapable de redescendre
Et là se pose la question, amis lecteurs (je me demande bien pourquoi j’utilise le pluriel) : quelle est la vie d’un fantôme et comment acquiert-il la propriété qu’il va dorénavant occuper ? Je n’en sais à vrai dire pas plus que vous, mais en songeant à la vie de nos amis les morts, il est naturel de s’interroger sur leur quotidien.
Ainsi par exemple, un fantôme contracte-t-il généralement un prêt sur vingt-cinq ans afin de se porter acquéreur de son domaine ? La location est-elle également possible dans ce cas ? Et si le malheureux ectoplasme se trouve dans l’impossibilité de s’acquitter de sa dette, est-il sous le coup d’une expulsion ou bien se retrouve-t-il lui aussi protégé par la mansuétude de la trêve hivernale ?
Il est naturel d’imaginer que les fantômes, ayant généralement connu une vie humaine par le passé, c’est-a-dire sous la forme d’un être de chair et de sang, vont garder quelques unes de leurs habitudes d’antan comme de sympathiques migrants conservant les coutumes de leur pays d’origine et exigeant que le pays d’accueil les accepte tels quels sans contrepartie. Ainsi pourquoi n’existerait-il pas de spectres soixante-huitards se retrouvant en communauté pour hanter une vieille ferme du Périgord à l’abandon ? Si les chèvres peuvent elles aussi revenir de l’au-delà il serait des lors possibles pour nos vaporeux contestataires de continuer à rejeter le système en faisant eux-mêmes leur fromage tout en revendant leurs immondes pull-overs en poils de biquettes désincarnées. Au passage, ce sont les fantômes de légionnaires qui vont être contents…
Mais la coexistence entre ectoplasmes est-elle toujours harmonieuse ? Si un fantôme à la personnalité quelque peu solitaire et anarchiste décide de se fixer sans rien demander à personne dans un lieu particulier, comme un couloir de métro, ne risque-t-il pas de subir des violences de la part d’un réseau de « revenants » roumains prétendant que c’est là leur territoire et que l’intrus n’a qu’à aller expérimenter les joies de l’amour paranormal avec des esprits frappeurs du Péloponnèse ?
Devant toutes ces questions nous ne pouvons formuler que des hypothèses, et il n’est malheureusement pas exclu de penser que les fantômes peu fortunés ou allergiques au lait de chèvre doivent subir le sort des SDF ou habiter à l’hôtel, en attendant mieux…
En parlant de cela, il se trouve justement que certains complexes hôteliers sont connus pour être hantés. C’est le cas, entre autres, du Stanley Hotel aux Etats-Unis, établissement célèbre pour avoir inspiré le roman « Shining » de Stephen King. Je ne suis pas sûr que dans ce cas nous puissions parler de refuge pour spectres dans le besoin, tant le luxe du bâtiment tranche avec l’idée de morts en haillons, mais sachant que les touristes ont la possibilité d’obtenir une visite guidée des chambres les plus hantées, il peut s’agir en réalité d’un accord tacite entre la direction et la troupe d’ectoplasmes chargés d’assurer le spectacle en échange du gîte (les fantômes ayant rarement besoin du couvert). Les Américains gardent le sens des affaires, même avec l’au-delà.
A ce propos je me demande s’il serait possible de mettre sur pied le même type d’attraction dans les hôtels français, ceux-ci étant davantage connus pour être hantés par des directeurs généraux du FMI tout nus que par des spectres (ceci dit un directeur général du FMI peut également être très effrayant, surtout quand il est tout nu, et tout socialiste… d’ailleurs certaines mauvaises langues prétendent qu’il n’y a pas beaucoup de différences entre un socialiste et un fantôme au niveau des idées, mais je m’égare encore une fois). Ainsi, en supposant que le droit du travail français soit appliqué au cas de revenants issus ou non d’une formation aux métiers de l’hôtellerie, serait-il possible de convaincre ces derniers de travailler au-delà de trente-cinq heures par semaine, spécialement en horaires décalés (de nuit) ? Non parce qu’un hôtel prétendument hanté dans lequel on ne voit pas le nez d’un spectre après 15h le vendredi ne fait pas très sérieux. Ce sont les touristes japonais qui vont encore être déçus.
Un autre aspect de la vie des revenants, peu abordé jusqu'à présent, est celui des amours d’outre-tombe. Les fantômes sont volontiers décrits comme des êtres malfaisants, dont l’unique préoccupation est de terrifier ceux qui s’aventurent dans leur antre, mais qui nous dit qu’en réalité ils ne sont pas à la recherche d’un peu d’affection ? Nous avons tous entendus parler de la fameuse dame blanche qui apparaît de nuit sur une route déserte faisant signe à un automobiliste isolé de la prendre en stop. Je ne sais pas pour vous, mais moi cela me fait furieusement penser à du racolage sur la voie publique, quand ce n’est pas plus simplement un moyen pour une demoiselle mal baisée au physique ingrat de s’encanailler et tenter de découvrir des plaisirs qui lui étaient refusés au cours de son existence charnelle.
En parlant de cela je ne sais pas si les travestis sont monnaie courante chez les revenants, ce qui constituerait dès lors une surprise de taille pour notre infortuné auto-stoppeur (qui décidément n’a pas de chance ce soir là…), mais en songeant à toutes les possibilités existantes, je me demande s’il est vraiment responsable de laisser des enfants fantômes hanter seuls un lieu donné, comme on en a déjà signalés. Qui sait si au détour d’un couloir un de ces bambins blafards ne risque pas de tomber nez à nez avec un émule de Marc Dutroux, amateur de spiritisme de surcroît? On imagine cette scène saugrenue et consternante d’un vivant libidineux courant tant bien que mal, le pantalon sur les chevilles, un sac de bonbons dans une main et une pelle dans l’autre, après un spectre terrifié (cela arrive aussi aux fantômes de femmes de chambre dans les hôtels français) qui se retrouve de ce fait dans de beaux draps (c’est le cas de le dire)…
Pour chaque enfant fantôme commandé, un deuxième offert (papier-cadeau inclus)
Ainsi donc il semblerait que notre brave Gaston ne soit pas au bout de ses peines en ce qui concerne la vie post-mortem, mais s’il est à la recherche de paix et de tranquillité pour passer l’éternité, sans doute devrait-il méditer l’exemple d’un de nos spectres les plus célèbres, jadis président de la République, et qui a eu la brillante idée de se terrer dans un parc d'attraction en plein cœur de l’Auvergne, là où jamais personne, et surtout aucun touriste, ne viendra le déranger…
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