mercredi 30 novembre 2011

Solidarité


- Monseigneur ce… c’est affreux !

Je levai les yeux de mon écran d’ordinateur, où je passais en revue la dernière collection printemps-été de monokinis présentée par Jessica Alba (je cherchais désespérément une idée de cadeau de Noël destiné à sœur Angélique), pour voir débouler dans mon bureau de l’évêché la silhouette massive et voûtée du Père Klus de Sertitude.

- Tiens Père Klus, quel euh… bon vent vous amène, fis-je en tentant de dissimuler ma grimace
- Monseigneur, dit-il en reprenant péniblement son souffle, les… les fidèles musulmans de la commune, ce n’est plus possible, il faut faire quelque chose !
- Quoi les fidèles musulmans, que se passe-t-il ?
- Monseigneur, ils n’ont pas le chauffage dans la salle de prière qui leur a été octroyée par la mairie !
- Et alors ?
- Alors nous ne pouvons pas rester ainsi les bras croisés tandis que nos prochains sont dans le besoin ! L’hiver arrive !
- Et que proposez-vous donc ?
- C’est déjà fait, je leur ai donné les radiateurs électriques que nous avons à la petite chapelle du village. Bon, nos paroissiens auront un peu froid durant les offices, mais c’est pour une bonne action
- Mmmmm… , fis-je simplement en tirant sur mon cigare qui continuait de se consumer dans ma main.
- Mais il y a plus grave en fait, Monseigneur, savez-vous qu’ils n’ont pas les moyens d’achever la construction de la mosquée-cathédrale qu’ils avaient prévu d’inaugurer l’an prochain ?
- Ah… c’est ballot. L’Arabie Saoudite serait donc elle aussi touchée par la crise ?
- En conséquence de quoi, Monseigneur, j’ai décidé, avec votre consentement, d’organiser une quête auprès de nos paroissiens pour aider à réunir les fonds nécessaires. On ne peut pas les laisser sans lieu de culte décent !
- Mmmmmm
- Sinon en attendant, comme les fidèles musulmans sont trop nombreux pour la salle de prière en question, j’ai eu l’idée de prêter notre église pour que le surplus vienne y prier. Ils se sont d’ailleurs montrés ravis de cette initiative. Bien sûr ils ont exigé que tous les symboles chrétiens, comme les croix, disparaissent, mais au fond cela est bien compréhensible, il ne faut pas qu’ils se sentent offensés les pauvres…
- Mmmmmmm
- Oui, Monseigneur, je voulais vous voir pour obtenir votre accord et aussi parce que je crois fermement que, sauf votre respect, le clergé doit donner l’exemple de la tolérance et de l’ouverture à l’autre, à commencer par sa sainteté Benoît…
- Benoît ?
- Oui, le Pape !
- Tiens ce n’est plus Jean Paul ?
- Euh non… Jean Paul II nous a quittés il y a bientôt sept ans de cela…
- Ah, parce qu’il y en a eu un deuxième… ???

Il va vraiment falloir que je mette sérieusement mes papiers à jour… me dis-je en jetant un œil résigné sur l’immense pile de courriers non encore ouverts, dans un coin de la pièce, et que recouvraient un certain nombre de toiles d’araignée.

- Oui… euh… bref, reprit le Père Klus de Sertitude, donc au sujet des musulmans de la commune, je crois pouvoir les aider efficacement. Par contre nous avons un autre problème.
- Ah, et lequel cette fois, répondis-je en étouffant un bâillement.
- Les réfugiés africains du canton, il faut savoir que plusieurs d’entre eux sont polygames, comme ce sympathique Mamadou avec lequel je discutais l’autre jour. Mais je refuse de les juger pour cela, le Seigneur nous demande de les accepter tels qu’ils sont, et de plus je crois fermement que…
- Oui bon, d’accord, mais où est le problème ?
- Et bien parmi ceux-ci beaucoup sont trop pauvres pour entretenir toutes leurs épouses et leurs enfants. J’ai bien demandé à la mairie d’essayer de trouver une solution pour loger ces familles par exemple, mais ces incapables ont prétexté un manque de moyens et n’ont donné aux femmes de Mamadou que des appartements individuels éloignés les uns des autres, ce qui fait que Mamadou doit faire des kilomètres pour aller honorer toutes ses conjointes, et encore une fois ces racistes de la mairie prétendent qu’ils ne peuvent subventionner sa carte de transport… !
- Voilà qui est en effet fort triste, mais je ne vois pas où nous pouvons intervenir.
- En vérité j’aide Mamadou à titre personnel, mais compte tenu du nombre élevé de familles polygames dans la commune je ne peux pas tout faire moi-même et…
- Vous voulez dire que vous conduisez votre ami Mamadou chez ses différentes épouses pour qu’il puisse les honorer ?
- Euh… non ce n’est pas tout à fait cela, Monseigneur… disons que… comme je ne peux le conduire nulle part, car je n’ai pas de voiture, je vais chez Mamadou pour euh… enfin vous… euh… vous comprenez, fit le Père Klus de Sertitude en rougissant fortement, mais je sais que le Seigneur me pardonne car je le fais pour mon prochain !
- …
- Heureusement d’ailleurs que j’ai toujours avec moi un peu de sainte huile destinée à l’extrême onction pour que ce soit mieux l…
- JE NE VEUX PAS LE SAVOIR !!! Mais enfin Père Klus, ne pensez-vous pas que vous en faites un petit peu trop… ?
- Pardonnez-moi Monseigneur, mais on nous a dit d’aimer notre prochain comme nous-mêmes, et de tendre la joue gauche si nous étions frappés sur la joue droite, ce que je fais !
- Je vois, je vois… votre dévouement vous honore, Père Klus, mais qu’attendez-vous de moi au juste ?
- Et bien Monseigneur, j’aimerais un geste d’encouragement venant de votre part, pour montrer que l’Eglise ne fait qu’un dans ce combat noble qu’est l’aide à notre prochain. Bon je ne vous dérange pas plus longtemps Monseigneur, je dois me rendre à une manifestation réclamant la régularisation de tous les sans-papiers du département… !
- Père Klus, un petit moment je vous prie !
- Oui Monseigneur ?
- Père Klus, votre intervention m’a fait prendre conscience de certaines choses, et c’est pourquoi j’ai décidé de réagir… Timonde, fis-je en claquant des doigts à l’attention de l’abbé qui nous écoutait silencieusement depuis le début, assis sur une chaise dans un coin de la pièce, allez donc donner « un coup de main » au Père Klus… !

Quelques minutes plus tard je regardais pensivement les boucles de cheveux blancs que l’abbé Timonde avait laissé tomber sur le parquet en tondant le Père Klus de Sertitude.

- Tout de même je ne sais pas ce qui leur prend, lança soudain l’abbé, voila le douzième prêtre ce mois-ci qui nous fait le coup des bondieuseries et compagnies envers le prochain, surtout quand il vient de très loin… on dirait une épidémie !
- Oh il ne faut pas trop leur en vouloir, Timonde, ils sont très fragiles psychologiquement, et cette époque folle exerce une pression impitoyable sur ces esprits faibles qui croient agir pour le Vrai et le Bien. Tenez, il y a quelques jours de cela l’un d’eux, le Père Hamptoire, a absolument insisté pour que l’on prête l’église aux musulmans qui pratiquaient les sacrifices de l’Aïd ! Bon, je ne lui en veux pas, il m’a ainsi involontairement fourni une très belle moumoute pour le prochain mardi gras…
- Ah oui je me souviens, répondit mon ami en finissant de balayer… au fait c’est amusant mais… toutes ces mèches blanches sur le sol comme ça… on dirait vraiment de la laine de mouton, vous ne trouvez pas ?

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