vendredi 13 mai 2011

De l’inconvénient de la réincarnation

Il m’arrive parfois d’être victime de certaines angoisses existentielles (si si !).

La vie éternelle n’est-elle pas en fin de compte plus insupportable que l’idée de mort définitive ? Si le paradis existe et est tel qu’on nous le décrit avec sa porte dorée et ses petits nuages, n’éprouverait-on pas à la longue une sorte de lassitude à arpenter les mêmes lieux et à croiser les mêmes personnes (et surtout sans jamais exprimer la moindre pensée lubrique … évitez d’ailleurs de vous faire enterrer avec vos DVD de spectacles de Jean-Marie Bigard, ce n’est pas ainsi que vous vous ferez des amis dans l’au-delà)?

Et si en définitive nous sommes condamnés aux grills chauffés à blanc et aux diablotins, sommes-nous sûrs que l’ennui ne nous guettera pas non plus à force d’endurer les mêmes tortures ? Pouvons-nous au moins espérer un renouvellement des pratiques inhumaines destiné à apporter un peu de gaîté dans cette vie de souffrances ? Verrons-nous ainsi se constituer dans l’antre luciférienne une centrale syndicale CGT (Confédération Générale des Trépassés) exigeant par exemple que, le vendredi, le barbant et routinier bûcher soit remplacé par un riant écorchement à vif, une joyeuse pendaison par les boyaux, un désopilant éventrement par lame rouillée ou une rediffusion de l’intégrale des sketchs des « Robin des bois » (encore que je ne suis pas certain que l’on y gagne dans ce dernier cas) ? Cela mettrait du baume aux cœurs meurtris - car relativement morts - des damnés en attendant les supplices de la fin de semaine (consistant généralement en une traque à l’homme par des bêtes féroces suivie d’une sympathique crucifixion en bonne et due forme, le fameux « chassé-croisé » du week-end).
Mais je doute que de telles revendications puissent aboutir, d’une part parce que Satan n’est pas connu pour sa sensibilité syndicale (on le voit assez peu à la fête de l’Huma… on le comprend, les merguez grillées partout ça doit lui rappeler le boulot), mais aussi parce que l’enfer n’a pas officiellement le statut de sévisse service public avec monopole d’État. Du coup les possibilités de faire chier le monde par ses caprices faire pression sur le vil exploiteur ont moins de chance d’aboutir.
Et oui, ce taquin de Satan est gérant de boite privée, privilégie ses actionnaires, roule en voiture de sport, fréquente les carrés VIP des discothèques branchées, nomme son rejeton à la tête de l'EPAD et urine consciencieusement sur les revendications du petit personnel. Salaud !

Mais le pire est peut-être l’idée même de réincarnation, c’est-a-dire selon certaines cultures la transmission de l’âme vers un autre corps, le plus souvent animal. Ainsi, il serait possible que jamais nous ne puissions quitter cette terre imparfaite pour un endroit meilleur, ou du moins préservé de la bêtise navrante des hommes et des émissions de TF1.
Imaginons un instant un quidam quelconque, au hasard un obscur aquarelliste autrichien, méchu autant que moustachu, ayant exercé par pure étourderie quelques responsabilités politiques au sein de l’Europe de la première moitié du vingtième siècle, et que nous appellerons, je ne sais pas moi, Alfonse.
Alfonse n’a pas le moral, car il sait que, bizarrement, le monde ne l’aime pas. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de le changer en mieux, mais ses idées politiques valant ses goûts picturaux, il se trouve que tout ce qu’il a entrepris s’est mué en catastrophe. De plus il est sur le point de perdre la finale du championnat mondial de « Risk » sur plateau géant, et comble de malheur, tous moquent son sens de l’esthétisme capillaire. Fichu destin !
Alfonse sent confusément que ce monde ne le comprend pas, ne le mérite pas. Un jour, peut-être, ses tableaux empreints d’un doux charme poétique comme « Panzer au klair de lune » ou « Goering à sa toilette » seront considérés à leur juste valeur, et son influence reconnue, mais pour le moment il n’est que vague à l’âme.
Il hait ce qui n’est pour lui qu’une vallée de larmes, il ne peut plus la supporter, il le sait. Il veut quitter cet univers ignoble, définitivement.
Il lorgne de plus en plus vers son Mauser favori (le cadeau de sa grand-mère pour sa première communion), son seul ami désormais, et presse lentement le canon de l’arme contre sa tempe, bien décidé à en finir lui-même, tel un auguste Néron injustement rejeté.
Déjà il se voit délivré de tout, heureux, drapé d’une simple toge et flottant dans l’azur éthéré en jouant délicatement du Wagner sur sa harpe ciselée. Déjà il prépare son cercueil dans lequel son corps passera l’éternité en un lieu secret. Ses DVD favoris de Bigard y sont soigneusement rangés dans un coin.
Et puis subitement un doute l’assaille… et si tout cela n’était que mensonges, si en fin de compte il revenait sous une autre forme, pour ne plus jamais quitter ce monde honni…
Alfonse tremble, il hésite… il sait que, malchanceux comme il est, il ne peut que se retrouver dans le corps d’un être méprisable et ridicule, comme un morpion, un ténia ou un admirateur de Diam’s.
Mais il est trop tard, le coup part…


Ach ! Che suis refenu… !

Californie, 1946

Le docteur Stevens achève sa journée dans le cabinet de sa petite clinique vétérinaire de Los Angeles. Dans quelques minutes il sera débarrassé de cette pétasse cliente un peu irritante et de son insupportable caniche nain qui aboie sans arrêt après tout ce qui passe à sa portée. Il a beau aimer les bêtes, il ne comprend décidément pas que l'on puisse s'enticher de telles erreurs de la nature.
« Votre best … euh … chien souffre d’hémorroïdes, mademoiselle. Ce n’est rien mais par précaution je vais lui prescrire des suppositoires »
Ce faisant il ouvre un tiroir et en sort une plaquette argentée.
« A administrer trois fois par jour, matin, midi et soir, dès maintenant »
En extirpant l’un des médicaments fuselés et luisants de son emballage il a un geste de recul ; il jurerait que le petit objet gras et poisseux a bougé dans sa main gantée, comme si, mû par la panique et animé d’un mouvement de volonté propre, il se débattait désespérément contre son sort, il est vrai peu enviable.
Le docteur examine la boîte qu’il vient d’ouvrir « Alfonsene 500, made in Berlin, Germany » lit-il simplement.
« Bah, ce doit être le surmenage… » laissa-t-il échapper en agrippant fermement le hideux animal.


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