L’opéra est un monde étrange, reconnaissons-le.
Pour beaucoup cet univers aux codes particuliers, parfois difficilement compréhensibles, se résume à de frêles jeunes filles de cent trente kilos s’égosillant dans des vocalises interminables, de jeunes godelureaux non moins corpulents faisant des moulinets avec une épée en plastique (et manquant parfois d’éborgner la frêle jeune fille suscitée), des matrones aux cris encore plus stridents qui poussent le mauvais goût jusqu'à revêtir une seyante cuirasse de soirée et un élégant casque de viking (comme quoi Lady Gaga n'a rien inventé), un orchestre assourdissant, et comble de malheur un billet d’entrée au tarif plus que prohibitif.
Effectivement cette description peut laisser songeur quant au réel plaisir que l’on est susceptible d’éprouver devant un spectacle lyrique, et pourtant cet art draine des milliers de passionnés à travers le monde, dont votre humble serviteur, et je doute que tous soient touchés par un virus de masochisme aigu
Il doit donc y avoir une bonne raison à cet engouement, alors regardons de plus près…
L’histoire ? Hâtons-nous de le dire, l’argument d’un opéra ne présente bien souvent aucun intérêt, et le dénouement peut se laisser deviner aisément dès la lecture de la première ligne du programme, en sachant toutefois de quel genre d’opéra nous parlons.
S’agit-il d’un opéra bouffe ? Le couple formé par les deux jeunes gens (car il y a toujours au moins un couple de jeunes gens dans un opéra) se retrouve enfin réuni après moult péripéties rocambolesques alors que résonne la dernière mesure.
Est-ce un opéra séria ? Là, nos sympathiques lascars se retrouvent dans une position légèrement moins enviable puisque dans l’écrasante majorité des cas au moins l’un de nos deux trublions se voit offrir l’enthousiasmante perspective d’aller étudier de près les mœurs insolites de nos amis asticots. Le héros ou l'héroïne éprouve d’ailleurs une certaine prédilection pour le suicide, de préférence au moyen d’un poignard ou tout autre objet tranchant (Les Troyens, Madame Butterfly). Cela rajoute un certain cachet à la scène. Sont également « tendance » la maladie grave (La Bohème, La Traviata,…) et le meurtre (Carmen). Au contraire la mort de vieillesse ou en glissant par mégarde sur une déjection canine (ne riez pas comme des baleines bande de sans-coeur, cela arrive en réalité!) n’ont que rarement les faveurs de la victime d'opéra. On a sa fierté que voulez-vous…
Fort bien, mais si le dénouement est prévisible a dix kilomètres, peut-être le cœur de l’action est-il, lui, particulièrement palpitant ?
Hélas, une fois encore, force est de constater que le déroulement de l’intrigue ne varie guère d’une œuvre à l’autre. Il y est presque toujours question de trahisons, manipulations, quiproquos, amours impossibles et autres coups du destin. Ceci dit, il s’agit des ingrédients de base de l’immense majorité des œuvres de fiction connues à ce jour, et la façon de les agencer peut tout aussi bien produire un chef-d’œuvre qu’un scénario pour un film de Bernard Henri Levy désastre.
Certes, mais il se trouve que, pour notre malheur, bon nombre d’arguments d'opéras obéissent à la loi dite de « Corky », qui est un peu l'équivalent scénaristique de la loi de Murphy.
Ainsi, alors que l'énoncé de la célèbre loi de Murphy est la suivante « Au cours d’une situation donnée si un événement malheureux peut se produire, il arrivera », la loi de Corky peut être rendue de cette façon : « A l'opéra, au cours d’une situation donnée, si un événement invraisemblable peut se produire, il arrivera », et l’on pourrait même ajouter « plus l'événement en question est farfelu et tiré par les cheveux plus il a de chance de se dérouler ainsi ».
Un exemple ? Dans Aïda, célèbre opéra de Verdi, l’avant-dernier acte nous montre Radames et Aïda (voila donc notre jeune couple) en train d'évoquer leur avenir, de nuit, devant un temple. Il se trouve que Radames est le chef de l'armée égyptienne en guerre contre l'armée d'Éthiopie dont le roi n’est autre que le père d’Aïda (voila donc notre amour impossible). Or il se trouve que ce dernier a fortement exprimé le désir que sa fille joue les Mata-Hari d'opérette (c’est le cas de le dire) auprès de son amant en lui demandant de lui indiquer la route que doit prendre l'armée ennemie (et voila notre manipulation et notre trahison). Notre fougueux égyptien ne se fait pas prier et dévoile la fatidique information que le père d’Aïda, caché dans l’ombre, peut entendre, ce qui va déclencher le drame.
Ainsi, pour résumer, nous avons affaire à un soldat d'élite qui, au lieu de murmurer à l’oreille de son amante la réponse tant attendue (ou plutôt de trouver franchement louche que sa dulcinée lui pose ce genre de question militairement déplacée), trouve très malin de la claironner afin que toute la cantonade en profite, car bien entendu de nuit et près d’un grand bâtiment plutôt fréquenté il n’y a aucune chance pour qu’un quidam puisse se cacher et épier honteusement nos tourtereaux en train de copuler comme des malades se déclarer passionnément leur amour sous un romantique clair de lune.
Et si encore Radames n’avait été que le troufion Raoul Radefes enrôlé par erreur dans les armées de Pharaon après avoir passé de justesse la visite médicale, et se demandant entre deux coups de pieds au cul ce qu’il faisait là, pourquoi pas, mais nous parlons d’un général en chef, un stratège avec de lourdes responsabilités qui doit tout de même avoir une ou deux notions de l’importance des secrets militaires et des précautions à prendre contre l’espionnage ennemi…
Bref ce simple exemple, hélas non isolé dans l’histoire de l'opéra, nous montre que, bien souvent, il est moins approprié de parler de « grosse ficelle scénaristique » que de « câble d’amarrage pour porte-avions » tant le chemin emprunté pour nous faire arriver jusqu’au dénouement final (je me demande pourquoi je me sens obligé de préciser, tiens, les « dénouements initiaux » sont tout de même relativement rares) paraît tortueux et insensé.
A croire que les librettistes (ceux qui composent les textes d'opéra) sont tous soumis à la loi de Corky et se livrent régulièrement au concours de celui qui pondra l’histoire aux rebondissements les plus absurde (Da Ponte, le principal librettiste de Mozart, est d’ailleurs particulièrement doué en la matière, et sa loi de Corky a pour nom « échanges de costumes et d'identités sans que quiconque ne remarque jamais rien »). Ils sont aidés en cela par le choix de personnages « d’exception » puisque dans la vraie vie de tels êtres ne tiendraient pas dix minutes avant d'être envoyés illico à l’asile (ou dans une émission de real-TV pour les pathologies les plus graves). Je pense ainsi à Calaf, dans Turandot, qui trouve le moyen de s'éprendre passionnément d’une princesse chinoise à sa simple vue alors qu’elle n’a même pas encore ouvert la bouche (remarquez dans un opéra les femmes avec une voix de crécelle ne sont pas légion, il prend peu de risque de ce côté là ) et qui, pour couronner le tout, décide de passer les épreuves que tout prétendant à la main de la demoiselle doit subir, épreuves menant d’ailleurs à la mort en cas d'échec, comme l’attestent les têtes des malheureux candidats exposées un peu partout sur la scène (toi mon gars ne t'étonne pas si tu te retrouves un jour coincé dans un loft ou sur une île déserte devant des dizaines de caméras avec d’autres énergumènes dans ton genre).
A croire que les librettistes (ceux qui composent les textes d'opéra) sont tous soumis à la loi de Corky et se livrent régulièrement au concours de celui qui pondra l’histoire aux rebondissements les plus absurde (Da Ponte, le principal librettiste de Mozart, est d’ailleurs particulièrement doué en la matière, et sa loi de Corky a pour nom « échanges de costumes et d'identités sans que quiconque ne remarque jamais rien »). Ils sont aidés en cela par le choix de personnages « d’exception » puisque dans la vraie vie de tels êtres ne tiendraient pas dix minutes avant d'être envoyés illico à l’asile (ou dans une émission de real-TV pour les pathologies les plus graves). Je pense ainsi à Calaf, dans Turandot, qui trouve le moyen de s'éprendre passionnément d’une princesse chinoise à sa simple vue alors qu’elle n’a même pas encore ouvert la bouche (remarquez dans un opéra les femmes avec une voix de crécelle ne sont pas légion, il prend peu de risque de ce côté là ) et qui, pour couronner le tout, décide de passer les épreuves que tout prétendant à la main de la demoiselle doit subir, épreuves menant d’ailleurs à la mort en cas d'échec, comme l’attestent les têtes des malheureux candidats exposées un peu partout sur la scène (toi mon gars ne t'étonne pas si tu te retrouves un jour coincé dans un loft ou sur une île déserte devant des dizaines de caméras avec d’autres énergumènes dans ton genre).
Ainsi vous l’aurez compris, nul ne se rend à l'opéra pour savourer une intrigue palpitante et merveilleusement articulée. Il est d’ailleurs très rare qu’un amateur, ou même un parfait novice, n’ait pas au préalable une connaissance au moins superficielle des tenants et aboutissants du drame qui va se dérouler sous ses yeux.
C’est dire si l’effet de surprise joue peu dans le plaisir du mélomane lyrique qui pourtant ne considère pas l'opéra comme un genre musical parmi d’autres au même titre que la cantate ou le lied. Car malgré tous ses défauts il me semble que la magie d’un bel opéra provient de la fusion des différents arts qu’il fait intervenir (chant, mise en scène, expression corporelle,…) pour aboutir à une alchimie idéale qui décuplera l'émotion qu’un spectateur peut ressentir devant une seule de ces formes d’expression. C’était d’ailleurs ainsi que Wagner voyait son travail, et ce n’est pas un hasard s’il a cumulé les postes de compositeur, librettiste, chef d’orchestre et metteur en scène tout au long de sa carrière…
Mais quelques morceaux choisis valent sans doute mieux qu’un (trop) long article et les exemples proposés parleront, je l'espère, d’eux-mêmes…
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