Martin soupira et alluma son poste de télévision alors que son chat blanc et noir (les animaux monochromes n’étaient pas autorisés) s’installait confortablement sur ses genoux en ronronnant.
Il existait une émission hebdomadaire qu’il suivait assidument, au cours de laquelle l'animateur approfondissait certains grands sujets d'actualité. Le thème ce soir là était le malaise des jeunes des cités, sujet remis en lumière à la suite de l’agression d’une femme par des jeunes de Seine St Denis dans un train de banlieue. Le premier invité, un sociologue habitué des plateaux répondant au nom de Dominique Fojton, était d’ailleurs en train d'évoquer l’affaire :
Dominique Fojton : Avant tout il ne faut pas faire d’amalgame, pas stigmatiser sur un fait divers qui n’est nullement révélateur - Vous permettez ? – mais je voudrais revenir sur un point dont on ne parle pas. La victime, si victime on peut l’appeler, est une jeune femme de bonne famille, sans réel souci dans la vie, avec un vrai travail bien rémunéré, chance de plus en plus rare de nos jours. Elle se promène avec son portable, et étale donc sa richesse aux yeux de tous, ce qui peut apparaitre comme une provocation en temps de crise – Vous permettez ? – Or mettez-vous un peu à la place de ces jeunes issus de l’immigration qui sont, je le répète, une vraie chance pour notre pays – Vous permettez ? – et qui sont probablement chômeurs car victimes de discrimination à l’embauche – Vous permettez ? Vous pouvez me laisser finir ? – comment voulez-vous qu’ils n’expriment pas leur colère contre ce qu’ils nomment « français » c’est-a-dire les maitres du pays qui ne leur offrent pas leur chance. C’est d’une violence incroyable, INCROYABLE ce qu’ils vivent, alors avant de condamner il faut savoir ce que ces gestes en apparence choquants peuvent exprimer du désespoir qui mine ces jeunes qui sont avant tout – vous permettez ? – les vraies victimes.
Animateur (essayant désespérément de prendre la parole) : Bon et bien merci Dominique… je reçois maintenant, pour approfondir cette question, Monsieur Saïd Brouhaha, un autre grand sociologue issu de l’immigration et spécialiste des questions de banlieue. Il est co-auteur d’un livre « Baise la France », ouvrage écrit avec le chanteur Saïd qui traite justement du malaise des jeunes des quartiers. Nous les applaudissons bien fort !
Deux hommes firent leur apparition sous les projecteurs. Ils prirent place devant les cameras, à l’endroit que leur désignait le présentateur, sans un regard pour le public.
Animateur : Bien, Saïd et Saïd, vous vous produisez dans des domaines très différents mais vous êtes tous les deux issus de l’immigration. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots pour le public ?
Saïd Brouhaha : Mais certainement ! Je suis donc sociologue, spécialiste des questions d’immigration, je suis membre du PORC, le « Parti des Occupants de la République Colonisée », et j’ai effectivement écrit un livre avec Saïd qui pose un regard accusateur sur les politique françaises en la matière.
Dominique Fojton (avec des étoiles dans les yeux) : Saïd Brouhaha… notre maître à tous ! Notre modèle en langue de bois et mauvaise foi !
Animateur : Très bien, et vous Saïd, vous êtes chanteur je crois, pouvez-vous nous en dire plus ?
Saïd : Nik la France ! Wesh !
Saïd Brouhaha : Pardonnez mon jeune ami, il est un peu intimidé et il s’exprime difficilement, je vais répondre à sa place si vous le permettez. Je disais donc que Saïd est effectivement chanteur dans un groupe de musique baptise ZEP, Zone d’Eructation Populeuse, groupe très engagé sur les questions artistiques et politiques.
Animateur : Je vois… pardonnez-moi de vous demander cela mais comment avez-vous réussi à écrire tout un ouvrage avec lui ?
Said Brouhaha : Je me pose souvent la question…
Said : Wesh ! YOU YOU YOU YOU YOU YOU YOU YOU YOU !
L’intervention soudaine de Saïd dans le poste fit sursauter le chat métissé de Martin qui se réfugia en tremblant sous le fauteuil de son maitre.
Animateur : Bien … euh … merci Saïd ! Pour faire plus ample connaissance avec vous nous allons diffuser un reportage tourné en banlieue montrant votre groupe dans sa vie de tous les jours.
Sur l'écran apparaît alors un paysage urbain triste et sale dans lequel se dressent des barres d’immeuble sombres. La camera se focalise sur les trois membres de ZEP, composé de Saïd et deux vieux à casquette sur lesquelles sont cousues des têtes de Mickey, marchant au milieu des rues désertes alors que l’on entend en fond sonore leur chanson phare « Baise la France ».
Premier vieux a casquette : Yo, moi c’est Busta Jean-Pierre et je baise la France !
Deuxieme vieux a casquette : Moi je suis MC Robert et je baise la France !
Saïd : Wesh !
Voix-off : Nous avons suivi le groupe ZEP dans une banlieue difficile, plus exactement celle où a grandi Saïd. Ces musiciens engagés ont décidé d’aller à la rencontre des habitants pour, disent-ils, donner la parole à ceux à qui on la confisque. Ils ont ainsi pu rencontrer plusieurs jeunes qui leur ont confié leurs problèmes. Pour faciliter la compréhension les interventions de ces jeunes seront sous-titrées.
Premier jeune : Wesh ! Z’etes ki vous ?
MC Robert : Euh….. yo man !
Busta Jen-Pierre (tendant la main) : Bonjour, moi c’est Busta Jean-Pierre, mais tu peux m’appeler JP ! Enchanté de faire ta connai…
Deuxième jeune : Hé c’bouffon pourkoi tu l’as ram’né ici ?
Saïd : J’leur montr’ mon quartier, fais pas iech !
MC Robert : Et moi c’est MC Robert, on vient ici pour parler avec vous, loin des clichés véhiculés sur les cités !
Troisième jeune : Mais vasy, tu krois kon a besoin de toi ? Tu fais koi d’abord ?
MC Robert : Euh non mais euh… je suis un chanteur engagé et je lutte pour un monde métissé et différent ! Je nique la France quoi !
Premier jeune : Saïd, Y son vulgaires tes vieux !
Deuxième jeune : Ouais, sérieux tu les a trouvés où ?
Busta Jean-Pierre : Bien dit Roby ! Oui nous sommes des militants aux côtés des plus faibles et des laissés pour compte. Par exemple on manifeste contre les expulsions de Roms par ce gouvernement raciste, on est solidaire avec eux !
MC Robert : Ouais ! Nous aussi on est des Roms ! Tout le monde ! Nous sommes tous des Romanos !
Deuxième jeune (écrasant une petite larme) : C’est … c’est beau c’keu tu dis cousin !
Premier jeune (même manège) : C’est beau comm’du Cortex !
Troisième jeune : Hé ! R’gadez ! Yzont l’même fut que Kool Shen ! Pareil ! Quels bouffons, vous êtes périmes de chez ouf bande de bâtards!
Troisième jeune (rigolard) : Y z’ont trop la teuhon tes vieux !
MC Robert : Oui mais euh… on n’a que cinquante ans hein !
Deuxième jeune : Zyva vous fait’encor’plus vieux avec vos futs, même moi à dix ans j’m’habillais pas com’ça ! Et vos casquettes Mickey là ! Non mais sérieux vous sortez d’l’hospice? Vous v’nez mendier les romanos ? En plus y m’ont r’gardé dans les yeux… cé des racistes !Hé on s’les fait ???
Premier jeune : Wesh ! Hé j’offre la tournante générale ! Pour moi ce sera un Rom blanc !
Deuxième jeune : Pour moi aussi yo !
Troisième jeune : Pareil !
Saïd (avec un sourire narquois) : Wesh wesh !
MC Jean-Pierre et Busta Robert : ……HÉ NON LAAA NON NON AH AAAAAAAAAAAAAAAHHH !!!!!!!!!!
Et c’est ainsi que nos deux petits Roms (vieillis en fut de Shen) furent consommés, et malheureusement pour eux, « cul-sec »…
Voix-off (sur un ton monocorde et impavide, couverte par les cris des deux joyeux drilles) : La banlieue est un monde encore difficile à cerner, mais comme vous pouvez le constater, par delà les préjugés et les idées reçues, des hommes luttent et donnent de leur personne pour ouvrir la voie, si l’on peut dire, à un nouveau dialogue entre les cultures…
Attention : ceci n'est pas une campagne pour l'euthanasie des vieux...
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