lundi 17 octobre 2011

"Anna Bolena" de Gaetano Donizetti


Si j’avais des lecteurs, ceux-ci m’interpelleraient probablement sur le fait qu’il y a quelques mois de cela, lorsque j’ai commencé ce blog navrant, j’ai crée un dossier intitulé « l’opéra pour les nuls » sans aller plus loin que l’introduction, et il est vrai que dès lors cette section semble désespérément vide comme un discours de Sarkozy.
Je l’avoue, la paresse de devoir écrire un article entier sur telle ou telle œuvre du répertoire lyrique m’a longtemps fait repousser cette tâche, pourtant nécessaire si je veux conserver la réputation de sérieux et euh… d’objectivité de ce blog, aussi, dans un effort surhumain pour triompher de cette regrettable tendance à la procrastination j’ai décidé de me mettre au travail, aidé en cela par la dernière représentation de la nouvelle saison du Met de New-York.
C’est ainsi pour moi l’occasion de vous parler d’Anna Bolena de Donizetti…

Pour vous situer rapidement le compositeur, Donizetti, comme son nom le laisse aisément deviner est un compositeur du pays des spaghettis ayant officié au début du dix-neuvième siècle, et si sa renommée est quelque peu éclipsée par celles de Rossini et de Verdi, il n’en reste pas moins qu’il est l’auteur de quelques unes des grandes œuvres du Bel Canto comme Lucia di Lammermoor et l’Elixir d’Amour.
L’opéra qui nous intéresse ici nous conte les derniers jours d’Anna Bolena, mieux connue sous le nom d’Anne Boleyn, reine au destin tragique, car femme d’Henri VIII, ce roi de la Perfide Albion qui savait mieux que quiconque comment se débarrasser d’une épouse encombrante. Les plus récalcitrants à l’histoire quelque peu tumultueuse de l’Angleterre doivent cependant avoir au moins une vague idée de la vie de ce personnage, ne serait-ce qu’à travers le visionnage du film « Deux sœurs pour un roi » (« The other Boleyn girl » en version originale ») dans lequel Anne et sa sœur sont jouées respectivement par Natalie Portman et Scarlett Johansson (cette dernière remportant tout spécialement mes suffrages du fait de ses lolos de rêve ses énormes euh… dons de comédienne).

Mais trêve de ces bavardages à la limite du graveleux et penchons-nous sans plus atteindre sur ce terrible drame musical :

Le premier acte s’ouvre sur une atmosphère lourde et pesante alors que la cour est réunie de nuit au château de Windsor. L’ambiance en effet n’est pas à la fête, et tous de s’apitoyer sur la défaite récente de l’équipe nationale contre le XV de France en coupe du monde. Toutefois la galère des mâles et virils représentants du rugby britannique n’est pas le seul objet de désolation, et beaucoup se lamentent également sur le rejet que subit la reine de la part de son royal mari, ce dernier en aimant une autre.
C’est d’ailleurs à cet instant que Jane Seymour (le personnage historique, pas l’actrice) fait son entrée, appelée par Anne. Nul ne se doute encore que Jane est en réalité la nouvelle conquête du roi Henri, et celle-ci décide de garder sa liaison secrète ne serait-ce que par amitié envers la reine officielle.
Oui donc, pour résumer la situation, l’histoire d’Anne Boleyn, Henri VIII et Jane Seymour ressemble pour ainsi dire furieusement à celle de Lady Di, Charles et Camilla, ce qui nous laisse penser que les têtes plus ou moins couronnées du pays du pudding poussent très loin le vice dans l’art du mauvais goût puisqu’ils semblent se délecter des histoires consternantes de ménages à trois. C’est également l’occasion de rappeler le vieil adage comme quoi l’Histoire se répète, et pas toujours en bien…
Mais revenons à l’opéra.

Jane, écrivais-je donc sublimement, fait son entrée, bientôt rejointe par la reine qui, ignorant la liaison du roi avec sa confidente, lui fait part de ses doutes et de ses inquiétudes. Ensuite Anne s’adresse à son page Smeton, le Justin Bieber local, personnage intéressant à sa manière qui, nous le verrons bientôt, mérite puissamment son lot de claques, afin qu’il lui change les idées en jouant l’une de ses compositions. Hélas, l’air que lui chante le jeune homme ne fait que rajouter à son désarroi car la reine ne peut s’empêcher de penser à son premier amour, qui n’est toujours pas éteint, et la reine lui demande d’arrêter (au grand soulagement de la foule présente d’ailleurs).
C’est l’occasion pour moi de parler d’une particularité propre à l’opéra : bien que Smeton soit de sexe masculin son rôle est joué par une femme, et c’est quelque chose que nous retrouvons souvent (on citera par exemple « les noces de Figaro » avec Cherubin, « Benvenuto Cellini » avec Ascanio, « le chevalier à la rose » avec Octavian) car une soprano (ou une mezzo-soprano) de par sa voix aiguë est mieux à même de rendre la jeunesse d’un adolescent qu’un ténor. On notera au passage que ceci est l’exact opposé du théâtre élisabéthain dont les rôles féminins étaient joués par des hommes du temps de Shakespeare (vous avez ainsi échappé à Juliette joué par le Jean-Marie Bigard de l’époque, puisqu’il paraît que l’homme se pique de théâtre classique…).

Alors que tout le monde quitte la scène, sauf Jane, le roi fait son apparition et révèle à sa maîtresse que bientôt elle prendra la place d’Anne sur le trône ce qui, curieusement, ne fait pas plus plaisir que cela à l’intéressée, ses scrupules restant très forts. C’est ainsi que le bon roi Henri quitte la salle, drapé dans sa fierté et les yeux au ciel, en se disant qu’il a beau être le maître absolu de l’Angleterre et le représentant de Dieu sur Terre, ce qui lui procure par là même une sagesse infinie, la logique féminine lui restera à tout jamais inaccessible…
A noter que le dialogue entre Henri et Jane est l’occasion pour Donizetti de composer un fort beau duo pour baryton-basse et mezzo-soprano.


Le jour s’est enfin levé et nous nous trouvons maintenant aux abords du château pour une partie de chasse. Enfin c’est ce qui est précisé parce que les protagonistes vont surtout chanter. J’imagine d’ailleurs que la chasse est de toutes façons une activité plutôt restreinte à Windsor, en particulier afin d’éviter les accidents idiots, les chasseurs locaux ayant une fâcheuse tendance à confondre les membres de la famille royale avec les divers animaux à grandes oreilles qui peuplent la forêt, mais passons…
Nous faisons connaissance avec Rochefort, le frère d’Anne, et Richard Percy, revenu en Angleterre après que le roi a bien voulu annuler sa condamnation à l’exil, ce dernier ayant soupçonné une liaison entre lui et la reine. Rochefort confirme les craintes de Percy, à savoir que la reine est malheureuse et se sent délaissée.
C’est alors que le couple royal fait son entrée et à la vue de Percy, Henri VIII, tout en gardant ses distances avec son rival, lui affirme qu’Anne a témoigné en sa faveur. La reine et Percy ne se doutent toutefois pas qu’il s’agit d’un piège et que le roi a permis au jeune noble de rentrer en Angleterre pour mieux le surveiller et pouvoir le surprendre avec la reine. Il charge en effet un de ses hommes de main d’épier leurs moindres faits et gestes, le filou…
Au passage j’imagine bien Hervey (tel est son nom) surpris en train d’observer à la dérobée les ébats du couple illégitime, expliquer que non, non, ce n’est pas ce qu’ils croient, qu’il ne jouait pas les voyeurs pour lui mais que tout cela c’était pour un ami, et qu’il est en fait obligé (j’ai un euh… « ami » un peu comme cela, abonné à Play-boy contre son gré).

Une fois cette touchante scène bucolique achevée nous nous retrouvons au château, plus exactement aux alentours des appartements de la reine, et pour être encore plus précis dans sa chambre même, dans laquelle le page Smeton, l’andouille de service, vient d’entrer. Le jeune homme nous précise bien, lors de son monologue, qu’en tant que musicien attitré de la souveraine il a souvent l’occasion de se rendre dans sa chambre, histoire de la distraire avec sa musique. Ainsi le spectateur ne trouve pas trop louche qu’un gamin en collants réussisse à se retrouver seul dans un endroit aussi, disons… stratégique.
Car Smeton n’est pas venu pour casser les oreilles de tout le monde (vu que l’endroit est désert) mais pour rendre le médaillon qu’il a dérobé à la reine, car il contient son portrait. En effet le jeune page fait souvent des rêves étranges et euh… pénétrants dans lesquels Anne toute n… oui bon j’arrête. Tout cela pour dire que le jeune adolescent n’est pas insensible au charme de sa souveraine. Mais alors qu’il se trouve seul comme un gros frustré dans la chambre, il entend un bruit à l’extérieur et court se cacher derrière un mur, tandis qu’Anne et son frère Rochefort font irruption dans la pièce, ce qui nous donne droit à la sempiternelle scène des confidences échangées bien entendu à voix très haute alors qu’un troisième larron épie dans l’ombre. Les ficelles du théâtre sont éternelles…
En fait ce ne sont pas tant les échanges entre Anne et son frère qui nous intéressent, que ce que l’ancien amant de la reine, Percy, a à lui dire, car celui-ci fait également son entrée (après que le frère de la jeune femme s’est éclipsé) pour s’expliquer enfin en tête à tête avec celle à qui il pense toujours (en plein cœur du palais royal, dans les appartements de la reine, alors que son royal époux se méfie de lui et le soupçonne d’entretenir une liaison avec sa femme... il est aventureux le garçon, voire inconscient). Mais Anne lui fait comprendre que tout est désormais fini entre eux et lui demande de partir sans jamais chercher à la revoir (à cette époque les SMS n’existaient pas encore pour casser à distance, c’était tout de même moins pratique).
Percy tire alors son épée et le page, croyant qu’il va frapper Anne, fait irruption pour s’interposer. C’est bien entendu à ce moment que le roi et sa suite font leur entrée (c’est plus un hall de gare qu’une chambre de reine décidément…) et le monarque, voyant les armes brandies et croyant à une trahison, exige des explications. C’est alors que cette andouille de Smeton prend la parole et ouvre sa chemise, offrant au roi de le frapper à la poitrine pour lui montrer qu’il lui reste toujours fidèle. Hélas ! Le médaillon à l’effigie d’Anne tombe aux pieds du souverain, si bien qu’Henri VIII, croyant qu’Anne le trompe, ordonne que tous les protagonistes de la scène soient emprisonnés, car si lui ne se gêne pas pour cocufier Anne avec une autre, ce n’est pas une raison pour que son épouse fasse de même, non mais ho, petite traînée, l’égalité entre homme et femmes n’est pas encore à l’ordre du jour au seizième siècle !
A noter que cette scène finale nous donne droit à un ensemble vocal de haute qualité.


A l’ouverture du second acte nous retrouvons Anne, confinée dans ses appartements, alors que le grand Conseil doit décider de son sort. Entre alors Jane qui lui propose de sauver sa vie en reconnaissant qu’elle a succombé au péché de chair avec d’autres hommes, mais Anne refuse ; jamais une femme digne de ce nom ne sauvera sa tête au prix de cette infamie, sa vertu étant ce qu’elle a de plus précieux (j’en entends certains murmurer que les temps ont bien changé…). Elle en profite d’ailleurs pour maudire la perfide qui a pris sa place dans le royal plumard, et c’est l’instant que choisit Jane pour lui révéler qu’elle est celle qui a ravi le cœur d’Henri. Anne, magnanime et touchée par l’honnêteté de son amie et désormais rivale, lui affirme qu’elle n’a pas à se sentir coupable et que le roi est l’unique responsable.
Je sens à cet instant que certains lecteurs sont déçus et auraient aimé un combat de boue avec tenues assorties entre Anne et Jane, mais non, ce n’est pas le genre de la maison. Contentons-nous de préciser que le duo entre les deux femmes est sans doute l’un des sommets de l’œuvre, petits pervers que vous êtes !


Pendant ce temps nous apprenons que Smeton, soumis à une torture des plus infâmes (j’imagine qu’on lui a fait boire des litres de sauce à la menthe jusqu'à ce qu’indigestion s’ensuive), a révélé que lui et Anne ont eu une liaison. Ces aveux douteux ont d’ailleurs été obtenu en laissant croire au page que s’il acceptait de reconnaître cette affaire honteuse Anne aurait la vie sauve.
Attendez une minute… Smeton a avoué dans le but de sauver Anne et il a été torturé… mais pour quoi faire alors ? Cela ne paraît tout de même pas très sérieux et fait surtout songer à un bourreau négligeant qui, pressé sans doute de partir en week-end et d’éviter les bouchons à la sortie de la capitale, a soumis notre joyeux larron à une série de sévices routiniers en oubliant bêtement de l’interroger, ce qui est un peu ballot quand on exige de vous un travail soigné ; les bourreaux sont malheureusement victimes du train-train quotidien. Ou alors Smeton, en plus d’être maladroit et quelque peu stupide, cultive également un penchant certain pour le masochisme. Il y a des personnages comme ça…
Bref… toujours est-il que par la faute du page et ses révélations imprudentes, le destin d’Anne est scellé et le roi refuse de lui laisser la vie sauve, d’autant plus que nous apprenons que le conseil a dissous le mariage de Henri et Anne tout en condamnant cette dernière, ainsi que ses complices, à la peine capitale, sans compter que, coup de théâtre (décidement !), il apparaît que Percy et Anne ont été mariés par le passé. Jane tentera bien de le faire fléchir, mais sans succès.
Avouons toutefois que tout cela arrange bien le souverain dans sa volonté de se débarrasser de sa femme pour en épouser une autre…
Ainsi Anne, en plus de la vie, est destinée à perdre son titre de reine, et les enfants qu’elle a eus avec Henri VIII, en particulier celle qui régnera sous le titre d’Elizabeth I, sont relégués au rang de simples bâtards royaux…

 
« Génial, mes parents divorcent! »

C’est ainsi que nous retrouvons Rochefort et Percy dans un sinistre cachot de la Tour de Londres, attendant le bourreau. Mais alors qu’ils apprennent que le roi leur fait finalement grâce de la vie, ils refusent sa clémence en apprenant qu’Anne est condamnée au châtiment ultime et demandent, dans un moment de grande noblesse, à partager le sort de la reine déchue.
Cette dernière, dans sa cellule, est quant à elle victime d’hallucinations et, en plein délire, croit revivre le jour de son mariage avec le roi Henri VIII, puis elle se revoit avec Percy dans la maison de son enfance. C’est l’occasion pour Donizetti de composer une musique, sur le thème de la démence, particulièrement brillante (à noter que « Lucia di Lammermoor », du même auteur, contient également une scène dite « de la folie »).


 Ainsi donc l’assistance et ses compagnons prêts à partager son sort voient avec horreur la majestueuse reine se transformer en une vulgaire Carla Bruni, celle qui rit quand on la et chante quand tout fait naufrage autour d’elle. A noter toutefois que la soprano qui endosse le rôle d’Anne chante en général mieux que notre premier(e) d(r)ame, ce qui n’est franchement pas du luxe.
Ce n’est qu’en entendant la musique des réjouissances marquant le mariage du roi avec Jane Seymour qu’Anne sort de sa transe et comprend qu’elle est perdue…
Elle se ressaisit toutefois et, prenant le chemin qui doit la conduire au lieu du supplice (un coin de pelouse dénommé Tower Green dans la Tour de Londres), elle sort en déclarant qu’elle n’appelle pas la vengeance contre les nouveaux mariés.

FIN

Pour conclure je dirais qu’Anna Bolena, sans être un chef d’œuvre immortel, est un opéra de haute tenue qui devrait contenter son public, en particulier les amateurs d’un Bel Canto exigeant et virtuose. A titre personnel l’écriture de Donizetti me fait par instants songer à celle de Verdi dans la Traviatta (même si les deux partitions restent tout de même très différentes), et je ne serais guère étonné si j’apprenais que ce dernier a été influencé par l’auteur de Don Pasquale lors de la composition de ses premières œuvres…

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