- Co... comment pouvez-vous
dire cela, monsieur?
Le valeureux militant
fulmine et tente tant bien que mal de se contrôler. Son souffle
rauque, les mouvements de va-et-vient de ses épaules massives, alors
qu'il tente de maîtriser sa respiration, trahissent son état de
nervosité extrême. En face de lui l'homme garde un calme absolu. Il
poursuit comme si de rien n’était son propos :
- Ce que je dis, cher
monsieur, est pourtant le bon sens même. Je vous le répète encore
une fois, en tant qu'ethnologue et anthropologue, il est faux de
dire que les peuples sont destinés à
se mélanger, à
se métisser. Cela est la pire des idéologies. Ce que l'on appelle
le multiculturalisme et le vivre-ensemble sont des entreprises de
destruction de l'humain!
Une fois de plus l'homme
entend la rumeur scandalisée qui provient des rangs bondés
du public. Sur le plateau même
ce n'est guère mieux : plusieurs invités
se sont déjà levés depuis longtemps et ont entrepris de quitter
bruyamment le débat télévisé en faisant bien attention d'afficher
leur courroux face aux caméras.
Cette mascarade avait commencé par ce vieil écrivain sénile,
auteur du navrant succès “Scandalisez-vous”, et qui, montrant
qu'il aimait mettre ses idées en pratique, s’était levé de son
fauteuil en aboyant son indignation, et en rejoignant précipitamment
les coulisses, suivi par quelques seconds couteaux, intellectuels
auto-proclamés, qui l'avaient imité par solidarité.
- Monsieur, vous
rendez-vous compte de ce que vous venez de dire?
Cette fois c'est
l'animateur de l’émission qui a parlé, un animateur qui a depuis
longtemps perdu toute autorité sur la discussion et tente vainement
de la contrôler en la faisant repartir sur les bons rails. Mais
l'homme sulfureux reprend de plus belle :
- Oui, monsieur Ardicon, je
me rends compte, et je mesure la gravité
de chacun de mes mots... mais mon devoir, en tant que citoyen
étudiant les sociétés humaines, est de vous dire ceci : la
colonisation pratiquée jadis par l'Occident fut un acte
impardonnable, inqualifiable, notamment parce qu'elle a bouleversé
à jamais l'organisation
de sociétés dites primitives qui luttent toujours pour retrouver
leurs véritables identités. Mais il est un autre phénomène, tout
aussi ignoble, et qui sévit actuellement : l'immigration massive
des pays du Tiers-Monde vers les pays occidentaux, car comprenez moi
bien, ce phénomène migratoire est également, en réalité, un
phénomène de colonisation, d'une nature différente que celles que
nous avons connues par le passé, avec des méthodes autres, mais qui
au final conduit aux mêmes résultats catastrophiques : la
destruction de l’identité de peuples comme celui de France.
Le militant antiraciste
rugit de nouveau :
- Mais c'est un fantasme
nauséabond, l’identité nationale n'existe pas! C'est en réalité
le résultat du mélange de l’identité des différents peuples
venus vivre dans notre pays! Soyez honnête, vous un professeur
d’université!
L'ethnologue esquisse un
sourire amusé :
- Tiens donc, j'avoue que
votre intervention m’étonne quelque peu, cher monsieur! Vous me
dites que notre propre identité n'existe pas, mais qu'en même
temps elle est le résultat d'un mélange... le résultat d'un
mélange qui n'existe pas, je trouve cela assez intéressant comme concept. Il faut croire que l'antiracisme a inventé l’antimatière
par accident... de plus vous affirmez que les peuples qui sont venus
s'installer chez nous ont bien une identité propre, mais que nous,
nous ne pouvons en avoir... notion étrange encore une fois. Je suis
curieux de connaître le phénomène qui expliquerait comment un
pays de plus de mille cinq cents ans d'histoire, à
la culture foisonnante, a pu ainsi évoluer sans développer
sa propre identité!
Le public rit. “C'est
bien”, songe l'homme, “j'ai réussi à
retourner la situation, mais ce ne fut pas facile”. Il jette un
coup d’œil à son
interlocuteur. Ce dernier, en retour, lui renvoie un regard de plus
en plus haineux.
- Ne jouez pas sur les
mots, monsieur! Vous essayez de plaisanter mais vos propos sont
odieux, nauséabonds et dignes...
- … des heures les plus
sombres de notre histoire, n'est-ce-pas? Quelle originalité dans
les vôtres en tous cas...
Le public s'amuse de
l'intervention de l'homme, ce qui jette le militant antiraciste dans
une rage de moins en moins contenue :
- Dire que de pauvres
malheureux qui viennent chez nous pour connaître une vie meilleure
sont en réalité des colonisateurs est odieux, c'est du racisme
monsieur, et je ne peux pas vous laisser dire cela! Cela n'a rien à
voir, ce sont les occidentaux les véritables colonisateurs, ce sont
les bl...
Il s’arrête de
justesse, confus. Son interlocuteur en profite pour reprendre la
parole, en faisant semblant de ne pas avoir deviné le mot qu'il
s’apprêtait à
prononcer :
- Oui cher monsieur,
je persiste et signe, les vagues d'immigration actuelles sont une
forme de colonisation car elles ont pour résultat une modification
de plus en plus profonde des structures culturelles et politiques
des sociétés d'accueil. J’étudie l'Histoire, entre autres
choses, figurez-vous, et l'Histoire est pleine d'exemples de
sociétés humaines ayant peu ou prou disparu du fait d’expériences
hasardeuses comme celle que nous vivons actuellement avec
l'immigration de masse. Les sociétés humaines sont en réalité
très fragiles, et un rien peut les balayer. De plus les occidentaux
ne furent pas les seuls colonisateurs de l'Histoire, loin de là !
Chaque civilisation, pour peu qu'elle ait été assez puissante, a
cherché à
un moment ou à
un autre à
s’étendre aux dépends de ses voisins plus ou moins proches.
C'est pour ainsi dire une loi humaine, et même naturelle. Les armes
des colonisateurs de jadis étaient la technologie, les fusils, la
poudre à
canon... celles des colonisateurs de maintenant sont leur fécondité
élevée et leur refus de l'assimilation, mais à
terme les résultats sont les mêmes : les sociétés mises sous le
joug sont bouleversées pour ressembler aux sociétés conquérantes!
C'est au tour d'une
philosophe en vue d'intervenir :
- Ce que vous dites,
monsieur, est terriblement pessimiste et réducteur. Vous ne voulez
pas voir que ces colonisateurs, comme vous les appelez, apportent du
sang neuf et revitalisent, en quelque sorte nos pays moribonds!
Regardez les États-Unis, ce mélange de cultures infiniment
variées! Les États-Unis sont devenus la première puissance
mondiale et ce n'est pas un hasard. Les jeunes qui viennent s'y
installer du monde entier ne sont pas des envahisseurs, mais au
contraire des êtres humains désireux d'apporter leur richesse à
leur nouveau pays. Tenez moi qui enseigne entre autres à
Yale, je vois parmi mes étudiants, les américains ne sont ni les
plus nombreux, ni les plus brillants!
L'homme parvient tant bien
que mal à dissimuler un
bâillement :
- Mais madame... vous
mettez en relation des faits qui ne sont pas comparables! Quelle est
la grande différence entre les États-Unis et nos nations
européennes? Et bien les États-Unis, pays récent, se sont
véritablement construits avec l'immigration de peuples divers,
tandis que les pays d'Europe comme la France possédaient déjà une
culture pluriséculaire
avant l’arrivée des premières grandes vagues d'immigrants! Et
puis je trouve votre exemple des États-Unis quelque peu
maladroit... les États-Unis sont tout de même un pays qui connaît
des tensions ethniques assez graves, et ce depuis des décennies!
Dois-je vous rappeler, par exemple, les émeutes de Los Angeles dans
les années quatre-vingt-dix? Et les fameuses lois sur l'immigration
dans l'Arizona? Ne me faites pas croire que tout se passe pour le
mieux là-bas!
Et puis quand vous évoquez les élèves étrangers particulièrement
brillants... mais n'est-ce-pas également un trait culturel propre
aux étudiants issus de ces pays? Il se trouve que je suis également
professeur, comme vous le savez, et mes étudiants les plus
brillants, ou du moins les plus motivés, sont pour la plupart aussi
des étrangers. Principalement chinois, japonais, indiens, vietnamiens et russes.
J'y vois pour ma part la soif de connaissance de ces pays qui seront
de ce fait les pays dominants de demain, alors que nous,
occidentaux, nous complaisons dans la facilité, le culte de la
paresse et des loisirs, le refus du travail, mais c'est sans doute
un autre débat!
- Mais justement, c'est une
richesse que la jeunesse de ces pays nous apporte!
- Il s'agit moins de
richesse que les étudiants de ces pays nous apportent, et dont
d'ailleurs ils s'empresseront de faire profiter leurs propres pays
une fois formés par nous, que d'une pauvreté que nous avons
nous-mêmes acquise à
force de nous reposer sur nos lauriers et, je dirais même, de
concentrer nos efforts sur les tentatives extrêmement coûteuses
d’intégrer sur notre propre sol des populations étrangères,
souvent d'ailleurs en vain!
Un murmure de
désapprobation secoue le public. L'homme comprend, mais un peu tard,
qu'il est allé trop loin. Le militant antiraciste revient à
la charge :
- Vous voyez monsieur, ce
que vous dites est raciste, odieux, vous mériteriez d’être
poursuivi pour vos propose indignes! Ce n'est ni plus ni moins que
de la haine ce que vous exprimez!
L'homme n'en peut plus. Il
a réussi à garder son
calme jusqu’à présent, mais il sent qu'il ne peut plus continuer
ainsi :
- Mais allez-y,
poursuivez moi, traînez moi devant les tribunaux, puisque c'est là
votre moyen de subsistance, avec bien entendu votre tendance à
mendier honteusement auprès de l’État et des collectivités
locales quelques précieuses subventions! Vous savez très bien que
ce que je dis est la vérité, mais vous ne pouvez pas l'avouer!
Quand on accueille des populations étrangères en nombre et que
l'on doit scolariser leurs enfants qui souvent ne parlent pas le
français, et ont des habitudes culturelles telles que nos méthodes
pédagogiques marchent difficilement avec eux, comment ne pas voir
que les tentatives de les mettre à
niveau a pour effet pervers de faire perdre un temps précieux à
toute la classe! Comment s’étonner que des pays plus homogènes
que nous sur le plan ethnique et culturel, comme le Japon ou la
Finlande, voient leurs élèves obtenir de bien meilleurs résultats
scolaires que les nôtres? Ne voyez-vous pas que nous traînons des
boulets à
force d'appliquer cette idée imbécile, pseudo républicaine, que
notre pays est une terre d'accueil et ne doit pas présenter
d’entrave à
la libre circulation des individus? Ne voyez-vous pas que nous
courons à
la catastrophe à
force de considérer bêtement que les populations que nous
accueillons sont comme nous et qu'il s'agit simplement d'occidentaux
avec une couleur de peau différente? Enfin comment ne pas être
offusqué par le fait que cette nouvelle forme de colonisation que
je dénonce, est acceptée et même encouragée d'une manière
intolérable par les plus hautes instances internationales, comme
l'Union Européenne ou l'ONU qui se fichent éperdument des
conséquences catastrophiques à
terme, tant les hommes et les femmes qui les dirigent sont rongés
par l’idéologie? Laissez moi vous dire que forcer des peuples à
vivre les uns avec les autres, sans considération aucune pour les
spécificités culturelles de chacun est un crime. Les écologistes
nous ont appris que nous ne pouvions pas faire n'importe quoi avec
la Nature et que nous devions éviter de jouer aux apprenti-sorciers
avec les écosystèmes pour ne pas provoquer des déséquilibres
néfastes et irréversibles... il est seulement dommage que ces
mêmes écologistes, souvent eux aussi rongés par une idéologie
militante pro-immigration, n'aient pas compris que les mêmes lois
s'appliquaient aux sociétés humaines!
- Vous êtes
décidément d'un racisme incurable! Ramener sans cesse l'Autre à
son origine qui en ferait à
jamais un être diffèrent de vous ou moi, sans possibilité
d’évolution, c'est pitoyable, c'est grotesque, c'est ignoble!
- Je voudrais vous
faire remarquer, monsieur le courageux militant antiraciste, que
jamais je n'ai parlé d'individus, mais de populations! Chaque
individu a son histoire propre, ce qui fait que l'on ne peut réduire
un individu aux caractéristiques du pays dont il est issu. En
revanche les peuples sont tout entiers pétris de ce qui fait leurs
spécificités. Or nous ne nous trouvons pas devant la venue de
quelques individus, mais devant celle de populations entières, là
est la différence fondamentale, monsieur!
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Il est tard lorsque
l'homme regagne sa petite voiture garée dans une rue adjacente au
studio.
Alors qu'il roule dans les
rues de Paris il se demande ce que seront pour lui les conséquences.
Sera-t-il poursuivi? Et ses collègues de travail, lui parleront-ils
encore? Et ses étudiants? Pourra-t-il encore faire cours? Il ne sait
pas encore, et il se demande s'il a bien fait de répondre à
cette invitation à
débattre. Le thème était “ Les défis du multiculturalisme au
vingt-et-unième siècle
“, et il a donné son
accord pour y participer, sans se méfier. Il ne pouvait savoir qu'il
serait seul contre tous, contre ces experts autoproclamés
de la condition humaine et qui ne connaissent rien à
rien. Mais il sentait qu'il avait bien fait de ne pas se démonter,
de ne pas trahir sa conscience. Oui, il avait refusé
de grossir le rang des hypocrites, ceux-là
qui débitent les pires platitudes humanistes devant les caméras
mais qui reconnaissent en privé, du bout des lèvres, que l'on ne
peut plus continuer ainsi, et rien que pour cela, il pouvait être
fier.
Il allume son autoradio et
tombe par hasard sur une musique qu'il connaît bien, la Passion
selon St Matthieu de Bach, et tandis qu'il s'enivre à
l’écoute des chœurs tragiques et grandioses qui montent en
flammes dans le silence tournoyant, il se dit, tout bas :
- Non, je refuse que cela
meure un jour...
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