Je
promenais récemment
mon ennui au sein d’une soirée mondaine organisée par une famille
au nom prestigieux, membre de ce nous pouvons appeler “la haute
société” américaine (entendez par là ceux qui utilisent des
couverts quand ils mangent au fast-food), avec un ami écrivain (oui,
je suis invité par le gotha et je fréquente de grands esprits, que
voulez-vous…) lorsque nous fûmes abordés par une charmante jeune
femme dont le langoureux décolleté trahissait une nature aussi
généreuse que dévouée…
- Monsieur,
fit-elle, rougissante, à mon ami, je crois vous avoir déjà vu
quelque part, car votre visage ne m’est pas inconnu…
n’auriez-vous pas un rapport avec le milieu de l’édition?
- En
effet mademoiselle, répondit mon ami, quelque peu surpris, et
heureux, de se voir ainsi apostrophé, mais laissez-moi me
présenter, je me nomme Robert Rhay de Forde, et je suis romancier!
- Robert
Rhay de Forde? Mais… votre nom ne m’est pas inconnu! N’êtes-vous
pas cet auteur qui a écrit cette merveilleuse nouvelle à propos d’une jeune
fille et de sa mère décédée? C’était une histoire absolument
marquante… que personne ne pourrait oublier!
- Mais
vous avez tout-à-fait raison ma chère, répondit Robert en
étrennant son plus beau sourire-Colgate, vous me voyez pour ainsi
dire flatté! Je ne pensais pas qu’une personne aussi charmante
que vous pût s’intéresser à ce que je fais!
- Oh…. mais, comment dire, répliqua notre
son interlocutrice en laissant glisser légèrement l’une des
bretelles de sa robe d’un discret mouvement d’épaule,
savez-vous que je fais partie d’un club de lecture exclusivement
composé de membres féminins et que j’ai recommandé votre livre à toutes mes amies? Elles l’ont toutes trouvé
FA-SCI-NANT!!! Si… si j’osais, reprit-elle en laissant courir
son doigt sur ses lèvres luisantes, pourrais-je vous inviter à
venir donner une sorte de conférence à notre prochaine réunion?
Nous serions toutes absolument ravies, vous pouvez en être sûr!
Tenez, je vais vous présenter à quelques-unes d’entre nous qui
se trouvent également à cette soirée…
- Mais,
charmante demoiselle, lui répondirent Robert et son sourire “Triple
action-haleine fraîche-antitartre-protection contre les caries”,
pourquoi attendre la prochaine réunion? Tenez, je suis à votre
entière disposition! Pourquoi ne pas improviser cette petite
conférence dans ma chambre? Elle se situe à l’étage. C’est la
69, et il y a du champagne!
- Oh,
mais vous êtes vraiment unique, vous! Venez, fit la jeune femme en
riant et en lui prenant le bras, allons chercher mes amies! On va
bien s’occuper de vous !
- La
rançon de la gloire, me fit Robert avec un clin d’œil, avant
d’être emporté au loin…
Je
les vis s’éloigner
quand mon regard fut attiré par une autre proie
demoiselle, un peu à l’écart, seule, à l’apparence tout aussi
enchanteresse, et qui semblait se consumer également d’ennui. Ni
une ni deux je décidai d’approcher la malheureuse
chanceuse :
- Bonjour,
lui dis-je d’un ton avenant, permettez-moi de me présenter, je
suis l’évêque Sécrable, pour vous servir, mademoiselle!
- C’est
étrange, me répondit-elle avec un air interloqué, mais je crois
que je connais votre nom… oui j’en suis sûr, je l’ai déjà vu
quelque part!
- C’est
possible, fis-je, agréablement surpris, sachez que comme mon titre
l’indique je suis évêque professionnel à temps partiel. J’aide
d’ailleurs un triste et peu recommandable individu – l’abbé Timonde – à remettre nos ouailles dans le droit chemin, à coup de
gégène s’il le faut. Je suis aussi pilote amateur, j’aime tout
ce qui est nauséabond – l’odeur de soufre et le bruit des bottes
en particulier – et j’écris des poèmes de style précieux à
mes heures perdues, dans le genre de Racine – avez-vous d’ailleurs
lu mes sonnets sur le soutien-gorge et le string? Ou peut-être me
connaissez-vous également en tant que critique amateur d’opéras…
je tiens de plus un blog assez consternant, mais qu’aucune personne
saine d’esprit ne lit, ni aucune personne tout court d’ailleurs…
aussi je doute fort que vous me connaissiez par ce biais…
- Ah
mais… oui, j’y suis! N’êtes-vous pas cette personne qui, il y
a peu, a tenté de pénétrer par effraction dans le vestiaire des
femmes de la piscine municipale, sous un déguisement complètement
ridicule censé être un costume de ninja, muni d’une canne
à pêche et de macarons au Nutella comme appâts? Si je me souviens
bien vous avez d’ailleurs fini la nuit au poste dans une cellule
occupée par des maquereaux, des travestis, des alcooliques et des
junkies, et il a fallu faire venir un cardinal pour vous faire sortir
de là! Je l’ai lu dans le journal, ce… c’était une histoire
absolument marquante… que personne ne pourrait oublier!
- Mais
vous avez tout-à-fait raison ma chère, répondis-je en étrennant
mon plus beau visage-Biactol, vous me voyez pour ainsi dire flatté!
Je ne pensais pas qu’une personne aussi charmante que vous pût
s’intéresser à ce que je fais!
- Oh…. mais, comment dire, répliqua mon interlocutrice en rajustant
précautionneusement l’une des bretelles de sa robe, savez-vous
que je fais partie d’une association de femmes psychiatres? J’ai
d’ailleurs transmis votre histoire à mes collègues et elles
l’ont toutes trouvée FA-SCI-NANTE!!! Si… si j’osais,
reprit-elle, pourrais-je vous inviter à venir nous voir? Nous
serions toutes absolument ravies, car, voyez-vous… nous aimerions
tant nous pencher sur votre cas!
- Mais,
charmante demoiselle, lui répondis-je, pourquoi attendre? Tenez, je
suis à votre entière disposition! Pourquoi ne pas passer tout de
suite à l’évêché? Je vous y présenterai l’abbé Timonde, et
il y a du vin de messe!
- Oh,
mais vous êtes vraiment unique, vous…, fit la jeune femme en
reculant d’un bon pas. Re… restez ici, surtout, je vais chercher
les infirmières, elles… elles vont s’occuper de vous!
- La
rançon de la gloire, fis-je avec un sourire béat…
PS
: merci à
Robert Rhay de Forde pour m’avoir inspiré cette petite
« anecdote »…
Mouhaha, j'ai eu les larmes aux yeux de rire. Ou comment une simple anecdote peut engendrer un beau délire :jap:
RépondreSupprimerRobert RdF
Merci Robert.
SupprimerSinon tu remarqueras que je n'ai pas du tout, mais alors pas du tout brodé sur ta petite histoire, hein. Ce n'est vraiment pas mon genre d'inventer quoi que ce soit...
Sinon il était bon le champagne?