Pas plus tard que dimanche
dernier, alors que l’abbé Timonde et moi-même, votre humble
serviteur, prenions le frais après l'office du matin, nous vîmes
venir à nous mon vieil
ami Mhoussan, rabbin de son état, qui semblait dans un état
d'excitation tel que je sus tout de suite qu'un événement
particulier était sur le point de se produire.
- Cher évêque
Sécrable, me dit-il tout
de go, vite, il faut que vous veniez assister à
notre petite fête! Emmenez votre ami aussi, il est évidemment le
bienvenu!
- C'est que, répondit
l’abbé Timonde, je ne sais pas si je peux... j'ai encore beaucoup
à faire aujourd'hui :
préparer le cours de catéchisme, les sermons de la semaine...
- Mais ce ne sera pas
long! Et puis ça nous ferait tellement plaisir de voir des amis!
- Je dois également
donner des consignes aux frères pour les vêpres
- Mais c'est un moment
de recueillement unique, de haute spiritualité...
- En plus il faut que
je fasse répéter les enfants de chœur!
- Un moment de
communion intense, pour la gloire du Très Haut, vous ne pouvez pas
laisser passer cela...
- Il faut aussi que
finisse de préparer les bûchers pour les hérétiques du
week-end...
- Et il y a un buffet
gratuit, avec service à
volonté...
- Je viens...! fit
sobrement l’abbé Timonde avant d’emboîter le pas à
notre hôte...
Nous nous aperçûmes
alors que la cérémonie à
laquelle nous conviait mon ami n’était autre que la réunion
célébrant la circoncision de son petit dernier...
Nous fîmes ainsi
solennellement notre entrée dans une grande salle de la synagogue du
quartier dans laquelle étaient regroupées, devant une sorte
d'autel, des connaissances du Rabbin Mhoussan, alors qu'un peu à
l’écart nous aperçûmes un homme en train de préparer divers
instruments de chirurgie. Il s'agissait ni plus ni moins du Mohel, le
religieux chargé de la délicate opération...
Timonde et moi prîmes
place sur un banc à côté
d'une charmante jeune femme à
l’éblouissante chevelure châtain, et dont les rondeurs exquises,
parfaitement localisées, constituaient un argumentaire « de
poids » en faveur de la conversion. C'est du moins ce que je
crus lire dans les yeux de l’abbé, malgré la propension certaine
de mon compagnon à
loucher sur sa voisine.
Mais je n'eus que peu de
temps pour jauger des goûts de Timonde, car déjà le jeune enfant,
tout juste âgé de huit jours, était présenté à
l'homme de l'art, après les quelques prières rituelles... le
souffle coupé et les mains moites, tous les hommes de la salle (les
femmes étant étrangement bien plus détendues...) regardèrent le
Mohel se pencher sur le petit garçon encore endormi, le couteau à
la main.
Un cri retentit...
Tous se retournèrent vers
nous pour constater que l’abbé Timonde massait sa joue endolorie
tandis que sa voisine, visiblement furieuse, se levait pour changer
de place.
Lorsque le public porta de
nouveau son attention vers l'enfant, tous purent se rendre compte que
celui-ci venait de se rendormir, et que le Mohel rangeait ses
outils.
L'acte était terminé...
Nous prîmes
ensuite place dans une grande salle à
manger pour le repas promis par mon ami rabbin. A cette
occasion les yeux de l’abbé Timonde s’illuminèrent soudain, mais je
crus lire une pointe de déception lorsque celui-ci eut l'occasion de
goûter au fameux Gefilte fish, sorte de plat traditionnel à
base de poisson, improprement appelé “carpe farcie” en bon
français, et qui répand une odeur disons... caractéristique.
C'est ainsi que je fus le témoin de cette conversation entre le rabbin
Mhoussan et l’abbé Timonde, dont la couleur du visage virait au
vert pâle à
vue d’œil (ce qui présentait un contraste fort intéressant avec
le bleu de sa joue meurtrie) :
- Cher Timonde! Je vois
que vous venez de découvrir notre savoureuse spécialité de
Gefilte fish!
- Hein? Ah euh... oui
oui
- Savez-vous qu'en
1967, lors de la guerre dite “des six jours”, ce plat a sauvé
la vie de mon père alors qu'il était soldat dans le désert ?
- Comment cela?
- Hé bien il avait été
séparé de son unité et seul, errant dans le Sinaï, il n'a eu la
vie sauve que grâce à ses provisions de Gefilte fish qui lui ont permis de tenir et de
retrouver ses camardes de régiment
- Vous voulez dire
qu'il... les a mangées?
- Ben oui...
- C'est curieux mais...
je me disais qu'elles lui auraient été plus utiles pour se
défendre, comme en balancer sur les positions ennemies par
exemple... ça doit être radical !
- Ah mais comment
croyez-vous que nous avons fait pour gagner la guerre en seulement
six jours...?
Le reste du repas se passa
sans histoire, et Timonde et moi prîmes
bientôt congé de nos sympathiques hôtes, non sans jeter un coup
d’œil ému aux farandoles d'enfants qui s’égayaient dans la
salle, à la grande joie
des adultes présents.
Notre dernier regard fut
d'ailleurs pour une ronde de ces charmants bambins qui entouraient
l'auguste religieux ayant pratiqué le rituel, en lui chantant une
petite comptine qu'ils lui avaient spécialement dédiée, sur un
air étrangement familier :
« Petit
Papa Mohel,
Quand tu
viendras d’Israël
Avec tes
joujoux aiguisés
N'oublie
pas de m’anesthésier... »
Méfiez-vous des Mohels suisses quand même...
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