Mai 2012, quelque part dans une jungle sombre et moite (hmmmm…..)
Deux hommes s’avancent entre les arbres massifs qui bouchent
l’horizon. Le premier, vêtu d’une veste de cuir et d’un feutre
brun enfoncé jusqu’aux yeux semble être le meneur. Il progresse
au sein de la végétation luxuriante sans un mot, et sans jeter un
seul regard à son compagnon qui marche à ses cotes, suant et
ployant sous une charge imposante. De temps en temps on aperçoit au
hasard d’une trouée dans le feuillage de grands oiseaux exotiques
volant majestueusement. La chaleur est étouffante, mais peu à peu
le terrain s’élève et les arbres autour d’eux se font plus
rares, et bientôt les deux hommes s’arrêtent aux pieds d’un
étrange rocher situé au sommet d’une colline surplombant les
alentours.
- C’est donc ici que Nicolas a disparu, annonce soudain l’homme
au feutre
- Un de vos amis ? lui demande son compagnon avec un accent
sud-américain, tout en se débarrassant de son pesant attelage
- Un concurrent, Satipo, un concurrent… ah il était fort, très
fort !
- Docteur Jones, ce… ce n’est pas prudent ! Personne n’est
jamais sorti d’ici indemne !
L’homme au chapeau se contente de hausser les épaules et montre
à son acolyte une anfractuosité dans la roche, par laquelle les
deux hommes pénètrent bientôt. À la luminosité à peine
supportable du dehors succèdent les ténèbres insondables, et
l’étrange aventurier a tôt fait d’allumer une torche. Satipo
l’imite aussitôt.
- Tu dois deviner quel est cet endroit ?
- Un lieu terrible, señor ! Les gens du coin en parlent
toujours avec crainte…
- C’est normal, Satipo, il y a de quoi…
- Vous, vous êtes toujours sur que vous voulez continuer, señor ?
Mais Satipo ne reçoit aucune réponse, et les deux aventuriers
s’avancent toujours plus loin dans les méandres de la grotte. Tout
à coup, après quelques mètres, une lumière semble resplendir au
bout du tunnel, et le docteur Jones et Satipo se retrouvent bientôt
dans une sorte de couloir bâti par des mains humaines et baigné
directement par la clarté du jour. Le plafond semble avoir disparu.
- Arrête ! Crie soudain Jones à son compagnon, ne pénètre
pas dans la lumière !
Prudemment, Satipo s’assoit sur le sol et s’immobilise, à
quelques centimètres des rayons éblouissants qui viennent frapper
le sol. L’homme au feutre étend alors la main et soudain deux
herses aux pointes acérées jaillissent devant lui, manquant de peu
de l’embrocher. Un cadavre en décomposition est accroché à l’une
d’elle.
Satipo hurle devant la hideuse apparition, mais Jones,
flegmatique, se contente d’observer le corps d’assez petite
taille.
- Nicolas…, murmure-t-il simplement.
Quelques minutes plus tard, le couloir débouche sur une vaste
salle semblant être la pièce principale d’un temple. Tout au fond
se dresse un autel sur lequel trône une étrange idole : une
feuille de papier posée contre un soutien de pierre.
- Nous y sommes ! Enfin ! fait Jones avec un mélange
d’excitation et de crainte dans la voie.
- Qu’est-ce-que c’est, señor ? lui demande Satipo avec
circonspection…
- Un diplôme de l’ENA !
- L’ENA ? Que… qu’est-ce que c’est ?
- C’est ainsi que l’on nomme en réalité ce lieu, ce temple
maudit, Satipo…
- Un diplôme ? Je… je ne comprends pas, docteur Jones…
- C’est simple Satipo. Ce lieu, comme tu le sais, exerce une
fascination morbide et malsaine car des forces néfastes et
terrifiantes y sont a l’œuvre. Une ancienne légende locale
prétend que ce diplôme procure des pouvoirs immenses a celui qui
le possède, mais au prix d’un lourd sacrifice. Ainsi quiconque
s’en empare en récitant la formule cabalistique qui est écrite
dessus, afin de disposer de ces pouvoirs, perd subitement la raison,
le discernement et le sens des réalités, et devient un être
repoussant, menaçant, gonflé de morgue et rongé par la vanité.
Un être incompétent, nocif et très dangereux pour la société !
- Vous… vous voulez dire qu’il transforme les gens en bêtes
féroces, señor… ?
- Pire que cela, Satipo, il transforme les hommes en hauts
fonctionnaires d’État… !
- En haut fonct…. ce… ce n’est pas vrai, señor, n’est-ce
pas, fait Satipo avec crainte, ce n’est qu’une légende, hein
docteur Jones ? Ce n’est pas possible !
- Hélas, Satipo, parfois les légendes sont vraies…
- Mais señor, quels pouvoirs procure ce diplôme ? pourquoi
tant de gens le veulent si le prix à payer est aussi terrible ?
- Le pouvoir, Satipo, le pouvoir… connais-tu le mythe de l’anneau
du Niebelung ? C’est la même chose ici ! Les pouvoirs
que procurent ce diplôme sont incommensurables… ils font de toi
un être auquel tous obéissent. Avec lui tu règnes en maître sur
les institutions, les cabinets ministériels, les collectivités
locales, et ce, quelles que soient tes compétences réelles. Avec
ce diplôme, Satipo, tu n’est plus le serviteur de l’État que
tout haut fonctionnaire prétend être, mais c'est l’État tout
entier qui devient ton serviteur, avec tout ce que cela implique en
terme d’enrichissement personnel, de copinages et d’avantages de
toutes sortes.
- L’État tout entier devient ton serviteur… répète Satipo
les yeux brillants, l’enrichissement personnel…
- Oui Satipo, ce diplôme maudit te procure des faveurs
innombrables, et ceux qui ont pu l’approcher forment entre eux une
caste, une véritable noblesse d’ancien régime prête à tout
pour garder le pouvoir et ce qui l'accompagne. Prête à tout, y
compris à trahir son pays et le plonger dans le chaos…
- Mais personne n’a tenté de leur barrer la route ?
- Si, beaucoup de monde, mais nul n’a encore réussi. Leur
capacité de nuire n’a d’égale que l’efficacité de leur
organisation pour ce qui concerne l’élimination de leurs ennemis.
Tu as vu le genre de pièges qu’ils peuvent préparer, tu sais
ainsi, maintenant, ce qui est arrivé a ce Nicolas qui a lui aussi tenté de contrer leur influence, tout du moins au début, avant de
succomber lui aussi… mais il semblerait que nous, nous ayons
réussi, Satipo !
- Mais alors, que faisons-nous maintenant, docteur Jones ?
- Nous devons récupérer cette idole détestable, Satipo. Non pas
pour en profiter, mais pour la détruire. Ainsi le monde ne s’en
portera que mieux… reste là, il y a sûrement encore des pièges !
- Si vous insistez, señor…
- En fait non, mais comme je sais que tu préfères être à l'abri
ici, et qu’ainsi tu ne seras pas dans mes pattes comme un gros
boulet…, murmure Jones dans sa barbe…
Il s’avance alors vers l’autel, évoluant avec précaution, et
mesurant chacun de ses pas. Il se retrouve bientôt devant l’idole,
et malgré le dégoût que celle-ci lui inspire en voyant inscrite
sur celle-ci « Diplôme de l’École Nationale
d’Administration, promotion Voltaire », il ne peut s’empêcher
de la fixer avec émerveillement en songeant au pouvoir qu’elle
représente…
Enfin il reprend ses esprits et, plongeant la main dans son sac,
il en sort une petite sculpture, de style précolombien, représentant
une tête de jeune homme. Puis, soudain, il s’empare du diplôme et
place la statuette à l’endroit même que l’idole occupait, à
peine quelques centièmes de seconde plus tôt.
Un silence… rien ne se passe.
Le docteur Jones se détend peu à peu. Il a réussi ! Ça y
est, le diplôme est entre ses mains ! Il va pouvoir le
détruire…
Se retournant, il s’apprête à rebrousser chemin quand…
Un bruit de mécanisme, quelque part dans les profondeurs du
temple… et puis un grondement sourd… des blocs de pierre se
détachent soudain du plafond et viennent s’écraser a quelques
mètres de Jones.
- La poisse ! rugit-il en se ruant vers la sortie, j’ai mal
calculé mon coup ! J’aurais dû prendre un contrepoids plus
lourd ! Ma sculpture n'était pas assez volumineuse ! Je
le savais pourtant que ce foutu diplôme implique une très grosse
tête… !!! Pourtant l’énarque corrézien que j’ai
rencontré m’a assuré qu’une simple statuette dans le genre
« art premier » suffisait largement ! J’aurais dû
me méfier !
Satipo et lui courent le long du corridor, à la recherche d’un
endroit sûr, mais Jones se fige soudain. Son compagnon, qui vient de
franchir le gouffre béant qu’ils avaient passé quelques minutes
plus tôt à l’aide de son fouet retombe lourdement au sol. La
branche d’arbre qui leur servait de soutien vient de s’effondrer.
Jones aperçoit un mouvement derrière Satipo : une lourde
porte de pierre est en train de s’abaisser, bloquant le chemin vers
la sortie. Il n’y a plus une seconde à perdre…
Jones lance le diplôme à son acolyte. Celui s’en empare et,
laissant retomber le fouet avec une expression machiavélique :
Et Jones, horrifié, voit le traître s’engouffrer à travers
l’ouverture qui se réduit de seconde en seconde. Ni une ni deux,
prenant son élan, il parvient à sauter l’obstacle, mais perdant
l’équilibre sur le rebord, il parvient à se rattraper d’extrême
justesse grâce à une racine qu’il agrippe désespérément, et se
jetant en avant, franchit la porte juste avant que celle-ci se
referme définitivement sur le corridor qu’il vient de quitter en
catastrophe.
Le silence de nouveau, comme dans un tombeau. L’effondrement du
temple semble s’être arrêté. Évoluant prudemment dans la
pénombre, Jones aperçoit enfin la nappe de lumière qui déclenche
la fermeture des herses. Le cadavre de Nicolas est toujours là. Mais
soudain, tournant la tête, il aperçoit…
L’homme qui l’a trahit se dresse devant lui, immobile, les
yeux grands ouverts. Il est mort. Plusieurs pointes l’on traversé.
- Je t’avais dit, Satipo, que celui qui s’empare sans
précaution de ce diplôme perd tout discernement et le sens des
réalités… fait Jones cyniquement en ramassant l’idole de
papier tombée à ses pieds.
La sortie ! Bientôt ! Plus que quelques mètres…
Soudain, Jones tend l’oreille… un bruit de craquement derrière
lui, ou plutôt au-dessus. Relevant la tête, il sent son cœur
bondir dans sa poitrine : une énorme sphère rocheuse déboule
et roule vers lui… la fuite paniquée reprend de plus belle, Jones
à bout de souffle, sentant la lourde masse se rapprocher de lui.
Tout à coup un éblouissement : la lumière du jour ! La
sortie ! Il est sauvé ! Jones s’élance, franchit
l’ouverture par laquelle il était entré et se retrouve soudain à
l’air libre. Après quelques roulades sur la pente boueuse il
s’immobilise enfin, sauf, et presque indemne malgré les contusions
et les nombreuses coupures sur ses mains et son visage, mais il n’a
rien de cassé, semble-t-il, tout va bien. Encore étourdi par sa
chute, peinant à retrouver ses esprits, Jones se retourne, inquiet…
rien… l’imposante roche qui le poursuivait n’est plus là ;
elle a sans doute été bloquée quelque part.
- Heureusement qu’il y avait une grosse faiblesse dans le
scénario au point que la porte de pierre et la boule ont mis un
temps inexplicablement long à s’activer, sans quoi je n’aurais
jamais pu sortir de ce temple…
Fermant les yeux, il pousse un soupir de soulagement, reprenant
son souffle, écartant les toiles d’araignées accrochées à son
chapeau.
- Tiens, mais c’est ce bon docteur Jones !
Il sursaute… cette voix ! Jones regarde devant lui… une
dizaine de badauds le fixent curieusement, étonnés. Une silhouette
courte et massive, vêtue d’un costume trois pièces mail taillé s’approche de lui…
- Et bien, Indiana, il semblerait que vous ayez du mal à choisir
vos amis !
- Vous ! Mais ! Vous m’avez suivi ???
- Tout juste, fait le nouveau venu avec un sourire hypocrite en
tendant la main. Encore une fois voici que je m’approprie ce que
vous n’avez pas su conserver !
- Espèce de petite racaille… s’écrie Jones, furieux, mais il
s’interrompt bientôt devant les regards outrés que lui jette
l’assistance.
Puis, se reprenant :
- Dommage que les Français ne vous connaissent pas autant que je
vous connais, sans quoi jamais ils ne placeraient leur confiance en
vous ! Vous êtes la personnification même de l’immobilisme,
de l’impuissance, de l’incompétence ! Et je…
- Sans doute, Indiana, sans doute, réplique l’homme en lui
retirant le diplôme des mains, et il est dommage pour vous que vous
ne parliez pas la langue de bois, sans quoi vous pourriez le leur
expliquer…
Et brandissant le précieux papier vers les curieux qui
s’agglutinent autour de lui, il s’écrie triomphalement :