vendredi 5 août 2011

Delirium Tremens 1

Cécile habitait à Paris un appartement bourgeois du quinzième arrondissement entre un père, prêtre ouvrier de naissance, et une mère supérieure. Son frère Bertrand finissait ses études de narcotrafiquant et préparait le concours d’entrée à Centrale. Il ne se faisait aucun souci pour l’oral, puisqu’il révisait assidûment avec les meilleurs avocats de la capitale, mais s’inquiétait pour les séances de travaux pratiques de chimie car il avait entendu dire que les laboratoires français étaient loin d’être aussi bien équipés que les pharmacies colombiennes. Cécile quant à elle était classée deuxième en première, après avoir été l’année dernière première en seconde. Elle envisageait donc sereinement le passage à la vitesse supérieure que constituait la terminale, se préparant pour ce prochain virage, bientôt munie du «bac français» et du code. Elle comptait donc obtenir du même coup l’épreuve du baccalauréat général et le permis, sans toutefois brûler les étapes, mais la dernière ligne droite était pour bientôt !
Ce jour là, nous étions vers le mois de mars, toute la famille était réunie pour le petit déjeuner du matin, sauf la mère, partie aux vêpres, le père, s’étant caché pour échapper aux vêpres, le frère, qui préparait la synthèse de l’acide benzométhylphénoménolclassique, et sa sœur, pas encore levée. Enfin quant il fut 7h15 tout le reste de la maisonnée rejoignit la famille à table. La mère tenait le père par l’oreille, et était visiblement de fort mauvaise humeur :

- Puisque c’est comme ça, lui disait-elle, tu seras de corvée de messe tous les jours de la semaine ! Et tu peux toujours courir pour aller boire un coup avec tes copains syndicalistes dimanche matin !
- Mais enfin, je ne peux pas cette semaine, j’ai du boulot en retard à l’usine, et en plus le patron me fait la gueule parce que j’ai refusé de baptiser sa nouvelle Jaguar ! Tu te rends compte, me demander ça à moi, délégué cégétiste !
- Combien de fois t’ai-je dit d’arrêter de fréquenter ces voyous qui ne font que râler toute la journée, passer leurs soirées au bistrot, et dire du mal de la religion, tu devrais avoir honte !
- Mais non, enfin ! Si je passe du temps avec eux c’est pour les convaincre qu’ils sont dans le mauvais chemin, qu’il faut qu’ils fassent pénitence et se reconvertissent ! Hein ? oui, une fois, c’est suffisant, mais je prends sur moi pour aller au bar avec eux chaque fois, je te le jure ! (devant l’air peu convaincu de sa femme) bon, laisse tomber…
- Tu devrais prendre exemple sur ton frère qui est frère, lui au moins se contente de servir des gens respectables et responsables qui ne pensent pas qu’à se rendre odieux aux autres !
- Oui, je sais, mon frère c’est celui qui a réussi dans la famille, moi, Maman m’a forcé à aller jusqu’au diplôme de prêtre, je lui disais bien que je n’étais pas doué pour les études, mais Pâques...pardon…Bac+6, ça la faisait rêver. Elle ne s’est jamais remise de la conversion de mon père à la religion musulmane. Quand même, je la comprends, un Hollandais pur jus…

A ce moment, Bertrand fit son entrée dans la cuisine.

- Dis-moi Bertrand, c’est toi qui a remplacé le sucre par de la coke avant-hier ?
- Hein? Ah oui, enfin, non, c’était pas vraiment de la coke, le produit a tourné, mais je voulais voir s’il allait se bonifier avec le temps, alors comme il ne restait plus de récipient, j’ai pris le sucrier parce qu’il était presque vide. De toute façon je peux vous fournir en saccharose quand vous voulez, c’est ce que je mets dans mon café quand je loupe mon LSD, ça y ressemble !
- Oui ben n’empêche qu’hier ton père a aussi mis ta coke caillée dans son café, résultat il s’est mis à pousser des hurlements de dément pendant une demi heure et il n’arrêtait pas de faire le tour de la pièce en courant au plafond et en disant qu’il allait fonder une nouvelle religion et prendre des parts de marché à Benoît! J’ai eu un mal fou à lui faire réciter le credo après ! Déjà que quand il est normal, il se trompe toujours avec les paroles de « quand je pense à Fernande » !
- Ah oui ? Finalement ça m’a l’air pas mal comme dope, j’ai peut-être découvert une nouvelle substance intéressante !
- Bertrand, j’aimerais autant que tu fasses tes exercices de chimie ailleurs que dans ta chambre, tout le salon empeste le shit et l’héroïne renversée sur la moquette, c’est pas la joie quand il s’agit de passer l’aspirateur ! Ton père fait même une allergie à la résine de cannabis que tu laisses traîner un peu partout, ça lui donne de l’urticaire ! Et je ne te parle pas du joint que tu lui as fait essayer !
- En tous cas tu peux lui prendre sa paille, il a l’air de bien s’être accoutumé à la coke, maintenant. Faut que tu lui confisques le Canderel le matin sinon il va finir par dire la messe en verlan !
- Ben figure toi que l’autre jour, à la demande de Gérard, j’ai dû faire l’office pour une douzaine de jeunes paumés du quartier de l’usine où je travaille, lui répondit son père, et ils m’ont obligé à chanter toute l’homélie version karaoké sur une chanson de Doc Gynéco ! Je ne te parle pas des foudres de l’évêque, il hait le rap ! Lui c’était façon Village People qu’il voulait que je fasse le culte ! Tu m’imagines avec ma soutane et une coiffe d’indien ! Déjà que parfois j’oublie de ranger mes outils et que je me trimballe à l’église avec mon marteau et mon casque, franchement il n’y a pas besoin d’en rajouter niveau déguisement, tous des fêlés je vous dit !

C’est alors que Cécile entra à son tour dans la pièce. Elle avait sa tête des mauvais jours, quand il lui semblait que le monde entier s’était mis d’accord pour lui empoisonner l’existence.

- Tiens ma fille, ça n’a pas l’air d’aller ce matin !
- Non Maman, j’ai contrôle de français dans une heure, et j’ai très mal dormi cette nuit !
- Ah ! Et sur quoi porte le sujet ?
- Voltaire et les philosophes des Lumière… Bertrand, passe moi le sucre, c’est encore les céréales avec le coq qui n’ont aucun goût !
- Nom de Dieu, encore ces paillards insolents qui n’arrêtaient pas de blasphémer et de hurler contre l’Eglise ! Comment peut-on te faire étudier ça dans ton école privée ?
- Maman, ces écrivains sont au programme pour toutes les académies de France, il n’y a aucune exception à cela !
- En tous cas ça va de mal en pis ! Vous verrez que bientôt on ne pourra plus sortir de chez soi sans se prendre des pierres sous prétexte qu’on est catholique ! Mais où va le monde Jésus-Marie-Joseph !

Le père se leva alors de table.

- Bon, chérie, je dois y aller j’ai usine à 8h30 et on ne chôme pas en ce moment ! A tout à l’heure !
- N’oublie pas ton service à 11h00 ! Tu sais que tu l’as loupé deux fois la semaine dernière ! Je compte sur toi ! De quoi j’avais l’air devant les copines ! Je n’osais plus regagner le carmel !
- C’est bon, c’est bon, ne t’inquiète pas, j’y serai cette fois. Bon, je ne peux plus rester, il faut que je file, demande aux enfants de débarrasser !
- Au fait, dit alors Cécile, il faut que je vous dise, je suis en…
- …ceinte ? Demanda la mère
- …cloque ? Demanda le père
- …manque ? Demanda le frère
- Combien de fois t’ai-je dit de ne pas fréquenter de manière trop rapprochée les garçons, c’est malin maintenant ! Vous allez voir que si on n’y prend pas garde un jour elle va se marier civilement ! Ces jeunes n’ont plus aucune tenue de nos jours ! déclara la mère.
- Mais enfin, pourquoi tu ne m’as pas demandé des capotes ! J’en ai plein sur moi dans mon sac ! Je t’en aurais donné volontiers ! dit le père.
- Mais non, je suis en retard ! répondit Cécile, laissez moi finir mes phrases, c’est utile à la compréhension parfois ! Je suis en retard et donc je ne peux pas débarrasser moi non plus, il faut que je m’en aille !
- Quoi, cria Bertrand, il va falloir que je m’y colle tout seul ! Ah non, et ma synthèse de la drogue du violeur qui est en train de chauffer en ce moment, ça ne peut pas attendre !
- Et bien au moins ça te fera une occupation utile pour une fois ! lui répondit sa mère, Tu vas voir comme c’est drôle de tout nettoyer, surtout après le passage de quelqu’un qui répand toutes ses substances dans l’appartement !
- Oh ben il ne faut pas tout exagérer non plus, je te rappelle que le chien fait une bonne partie du boulot en léchant aux quelques endroits où j’ai pu renverser quelque chose ! Et puis quand même c’est grâce à ça qu’on a eu les honneurs du Guiness Books of Records pour posséder le premier chien cocaïnomane et junkie au monde !
- Quel chien ? Je te rappelle que c’est le troisième qui nous claque entre les mains depuis le début de l’année à force d’ingérer tes produits douteux ! Alors je te préviens, tu te rachètes un autre animal si tu veux, mais avec ton propre argent, c’est clair ?
- Mais enfin, qui te dit qu’ils sont morts pas overdose ? La plupart des produits que je synthétise sont ratés ! Je vais demander à Eric d’autopsier les corps, mais je suis sûr que le Royal Canin que tu leur donnais était plus nocif que ma came, déjà qu’ils avaient tendance à courir au ralenti comme dans la pub ! Un cul-de-jatte tétraplégique les aurait dépassé sans problème!

Cécile se leva alors de table.

- Bon je file, au revoir Maman, au revoir Papa, salut frérot, à ce soir !

Et elle disparut de la cuisine. L’instant d’après la porte claqua et on entendit des bruits de pas dans l’escalier. Le silence s’installa tout à coup dans la pièce où mangeaient les trois personnes restantes. Puis la mère supérieure rompit le silence.

- Dis-moi Robert ?
- Oui ?
- Depuis quand tu as des cap…des pré... des ... euh... choses là dans ton sac ?
- Euh…c’est pas pour moi, c’est parce que quelquefois des jeunes femmes euh…perdues viennent me voir parce qu’elles n’ont plus que le recours de la religion dans leurs vies difficiles sur le trottoir, alors je les écoute, je les réconforte, et quelque fois je leur donne euh…de quoi se protéger pour qu’au moins elles n’attrapent aucune maladie, c’est le moins que je puise faire !
- Mouais, ta générosité te perdra ! Quand je pense que tu aurais pu être prêtre à Neuilly, mais non, il a fallu que tu te prennes pour Super Curé à la rescousse de tous les timbrés de l’usine et d’ailleurs ! Si tu n’avais pas fréquenté les boîtes gays le soir après les cours du Père Dudavance, tu aurais pu faire une grande carrière dans les ordres, comme évêque-directeur-général de Paris, mais Monsieur avait des vices !
- Bon Thérèse, il faut que j’y aille où là je vais être vraiment en retard au boulot. Allez, je te dis au revoir !
- Et cette fois tâche de ne pas confondre le vin de messe avec ton litron de la pause de midi, tu avais vraiment l’air fin avec une bouteille de Beaujolais nouveau posée en plein au centre de l’autel la dernière fois !

Mais Robert lui répondit du palier.

- Oui, oui, promis, allez ! A tout à l’heure !

Et la porte claqua une nouvelle fois.

- Ah nom de Dieu, marmonna la bonne sœur, il en faut de la patience pour tenir cette maison. Parfois je comprends mes collègues qui sont encore célibataires !

Cette fois ce fut au tour de Bertrand de se lever.

- Bon Maman, j’ai encore du boulot, l’examen de travaux pratiques est pour bientôt, et je n’ai pas encore fini de synthétiser mes 300 kg de coke extra-pure, il faut que je sois plus rapide dans mes manipulations !
- C’est bon en ce qui concerne le shit et le LSD ?
- Oui, mais ça tout le monde y arrive, les questions qui font vraiment la différence ce sont les synthèses de l’héroïne et de la cocaïne. Sans ça je ne peux même pas espérer intégrer une officine afghane plus tard !
- Je me demande parfois si c’est une bonne idée de viser l’Ecole Supérieure de Narcotrafiquants de Bogota, il doit y avoir de la concurrence !
- C’est très difficile d’intégrer l’ESNB, mais mes avocats m’ont dit après avoir goûté mes produits et conseillé dans le rajout de tel ou tel ingrédient, qu’ils avaient bien apprécié et que j’avais mes chances d’avoir au moins Frênes, alors je me dis que j’ai de l’avenir.
- Les études c’est combien d’années déjà ?
- Pour l’ESNB c’est trois ans, comme en école d’ingénieurs. En fait cette école a une filière « commerce international » ainsi qu’un cours d’initiation à la politique des pays sud-américains, et il y a de nombreux débouchés en ce moment. Par contre à Frênes, la durée des études est liée à tes résultats avant le concours d’entrée. Les plus doués peuvent obtenir une bourse sur quinze ans, mais le problème c’est que quand tu repiques une année, tu recommences tout à zéro, et à la longue c’est ennuyeux, sans compter que tu n’as pas le droit d’abandonner les études une fois inscrit.
- Et si jamais tu obtiens l’ESNB, comment tu vas faire pour financer tes années d’études ?
- Ah là c’est génial parce que l’ESNB possède tout un système de bourse financées par le gouvernement colombien, il faut dire qu’il y va de la réputation du pays ! En fait j’ai tout à y gagner avec l’ESNB, mais malheureusement je ne suis pas tout seul sur la liste d’attente !

La mère supérieure finit son café, se leva et se dirigea vers la porte de la cuisine.

- Bon, moi aussi il faut que je parte, j’ai rendez vous au carmel avec un groupe de trash-metal afin de signer un contrat portant sur l’animation des offices de la semaine, on devrait attirer un public jeune, surtout maintenant que les vieux ont quitté l’église pour la synagogue du coin, depuis que le rabbin a engagé Pascal Sevran pour faire les chants entre deux lectures de la Thora. J’aimerais ne pas arriver en retard et faire mauvaise impression.
- Euh il me semble que Pascal Sevran est assez mort en ce moment...
- Disons qu'il est plus en phase avec son public, bon, si tu te dépêchais un peu?
- Allez Maman, passe une bonne journée.
- A ce soir fiston, et sois gentil de passer récupérer la soutane de Papa chez le pressing, il n’en aura bientôt plus de propre à se mettre pour sortir en ville le soir.
- D’accord Maman, j’irai dès que j’aurai fini d’empaqueter les sachets pour Jérôme, un petit cadeau pour le remercier de m’avoir enregistré « l’infirmière aime jouer au docteur » et « les lesbiennes en folie » dans l’émission « Les mystères de la vie expliqués aux enfants  »!

Et la porte d’entrée claqua une nouvelle fois...


1 commentaire: