lundi 15 octobre 2012

La rançon de la gloire (2)


Je promenais récemment mon ennui au sein d’une soirée mondaine organisée par une famille au nom prestigieux, membre de ce nous pouvons appeler “la haute société” américaine (entendez par là ceux qui utilisent des couverts quand ils mangent au fast-food), avec un ami écrivain (oui, je suis invité par le gotha et je fréquente de grands esprits, que voulez-vous…) lorsque nous fûmes abordés par une charmante jeune femme dont le langoureux décolleté trahissait une nature aussi généreuse que dévouée…

- Monsieur, fit-elle, rougissante, à mon ami, je crois vous avoir déjà vu quelque part, car votre visage ne m’est pas inconnu… n’auriez-vous pas un rapport avec le milieu de l’édition?
- En effet mademoiselle, répondit mon ami, quelque peu surpris, et heureux, de se voir ainsi apostrophé, mais laissez-moi me présenter, je me nomme Robert Rhay de Forde, et je suis romancier!
- Robert Rhay de Forde? Mais… votre nom ne m’est pas inconnu! N’êtes-vous pas cet auteur qui a écrit cette merveilleuse nouvelle à propos d’une jeune fille et de sa mère décédée? C’était une histoire absolument marquante… que personne ne pourrait oublier!
- Mais vous avez tout-à-fait raison ma chère, répondit Robert en étrennant son plus beau sourire-Colgate, vous me voyez pour ainsi dire flatté! Je ne pensais pas qu’une personne aussi charmante que vous pût s’intéresser à ce que je fais!
- Oh…. mais, comment dire, répliqua notre son interlocutrice en laissant glisser légèrement l’une des bretelles de sa robe d’un discret mouvement d’épaule, savez-vous que je fais partie d’un club de lecture exclusivement composé de membres féminins et que j’ai recommandé votre livre à toutes mes amies? Elles l’ont toutes trouvé FA-SCI-NANT!!! Si… si j’osais, reprit-elle en laissant courir son doigt sur ses lèvres luisantes, pourrais-je vous inviter à venir donner une sorte de conférence à notre prochaine réunion? Nous serions toutes absolument ravies, vous pouvez en être sûr! Tenez, je vais vous présenter à quelques-unes d’entre nous qui se trouvent également à cette soirée…
- Mais, charmante demoiselle, lui répondirent Robert et son sourire “Triple action-haleine fraîche-antitartre-protection contre les caries”, pourquoi attendre la prochaine réunion? Tenez, je suis à votre entière disposition! Pourquoi ne pas improviser cette petite conférence dans ma chambre? Elle se situe à l’étage. C’est la 69, et il y a du champagne!
- Oh, mais vous êtes vraiment unique, vous! Venez, fit la jeune femme en riant et en lui prenant le bras, allons chercher mes amies! On va bien s’occuper de vous !
- La rançon de la gloire, me fit Robert avec un clin d’œil, avant d’être emporté au loin…

Je les vis s’éloigner quand mon regard fut attiré par une autre proie demoiselle, un peu à l’écart, seule, à l’apparence tout aussi enchanteresse, et qui semblait se consumer également d’ennui. Ni une ni deux je décidai d’approcher la malheureuse chanceuse :

- Bonjour, lui dis-je d’un ton avenant, permettez-moi de me présenter, je suis l’évêque Sécrable, pour vous servir, mademoiselle!
- C’est étrange, me répondit-elle avec un air interloqué, mais je crois que je connais votre nom… oui j’en suis sûr, je l’ai déjà vu quelque part!
- C’est possible, fis-je, agréablement surpris, sachez que comme mon titre l’indique je suis évêque professionnel à temps partiel. J’aide d’ailleurs un triste et peu recommandable individu – l’abbé Timonde – à remettre nos ouailles dans le droit chemin, à coup de gégène s’il le faut. Je suis aussi pilote amateur, j’aime tout ce qui est nauséabond – l’odeur de soufre et le bruit des bottes en particulier – et j’écris des poèmes de style précieux à mes heures perdues, dans le genre de Racine – avez-vous d’ailleurs lu mes sonnets sur le soutien-gorge et le string? Ou peut-être me connaissez-vous également en tant que critique amateur d’opéras… je tiens de plus un blog assez consternant, mais qu’aucune personne saine d’esprit ne lit, ni aucune personne tout court d’ailleurs… aussi je doute fort que vous me connaissiez par ce biais…
- Ah mais… oui, j’y suis! N’êtes-vous pas cette personne qui, il y a peu, a tenté de pénétrer par effraction dans le vestiaire des femmes de la piscine municipale, sous un déguisement complètement ridicule censé être un costume de ninja, muni d’une canne à pêche et de macarons au Nutella comme appâts? Si je me souviens bien vous avez d’ailleurs fini la nuit au poste dans une cellule occupée par des maquereaux, des travestis, des alcooliques et des junkies, et il a fallu faire venir un cardinal pour vous faire sortir de là! Je l’ai lu dans le journal, ce… c’était une histoire absolument marquante… que personne ne pourrait oublier!
- Mais vous avez tout-à-fait raison ma chère, répondis-je en étrennant mon plus beau visage-Biactol, vous me voyez pour ainsi dire flatté! Je ne pensais pas qu’une personne aussi charmante que vous pût s’intéresser à ce que je fais!
- Oh…. mais, comment dire, répliqua mon interlocutrice en rajustant précautionneusement l’une des bretelles de sa robe, savez-vous que je fais partie d’une association de femmes psychiatres? J’ai d’ailleurs transmis votre histoire à mes collègues et elles l’ont toutes trouvée FA-SCI-NANTE!!! Si… si j’osais, reprit-elle, pourrais-je vous inviter à venir nous voir? Nous serions toutes absolument ravies, car, voyez-vous… nous aimerions tant nous pencher sur votre cas!
- Mais, charmante demoiselle, lui répondis-je, pourquoi attendre? Tenez, je suis à votre entière disposition! Pourquoi ne pas passer tout de suite à l’évêché? Je vous y présenterai l’abbé Timonde, et il y a du vin de messe!
- Oh, mais vous êtes vraiment unique, vous…, fit la jeune femme en reculant d’un bon pas. Re… restez ici, surtout, je vais chercher les infirmières, elles… elles vont s’occuper de vous!
- La rançon de la gloire, fis-je avec un sourire béat…


PS : merci à Robert Rhay de Forde pour m’avoir inspiré cette petite « anecdote »…

2 commentaires:

  1. Mouhaha, j'ai eu les larmes aux yeux de rire. Ou comment une simple anecdote peut engendrer un beau délire :jap:

    Robert RdF

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    1. Merci Robert.
      Sinon tu remarqueras que je n'ai pas du tout, mais alors pas du tout brodé sur ta petite histoire, hein. Ce n'est vraiment pas mon genre d'inventer quoi que ce soit...
      Sinon il était bon le champagne?

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