lundi 29 octobre 2012

« Majorité minoritaire » et sociologie de comptoir

De passage à Paris, j'arpentais récemment les rues de la capitale d'un air soucieux, voire même préoccupé, me demandant quelle absurdité j'allais bien pouvoir sortir cette fois encore, au grand plaisir de mes mon lecteurs. Il me fallut toutefois me rendre rapidement à l’évidence : l'inspiration ne venait pas. Oh, j'avais bien brûlé un cierge à Saint Benito, le patron des causes nauséabondes perdues, mais rien n'y fit, et ce n'est pas la petite prière adressée à la va-vite à Saint Adolf, le patron des blogueurs nostalgiques-des-heures-les-plus-sombres-de-l'Histoire, qui put arranger les choses. Ma caboche (n'y voyez aucun jeu de mot volontaire avec la phrase précédente) restait désespérément vide. Je me voyais déjà laissant ce blog … euh... fabuleux à l'abandon, quand, soudain, une vraie idée me vint à l'esprit : pourquoi ne pas faire tout simplement de la sociologie de comptoir comme à mon habitude? Il me suffisait tout simplement de trouver un sujet de société plus ou moins vaseux, à défaut d’être sulfureux, ainsi qu'un comptoir. Je mettais la main sur le premier en puisant dans mes anciens articles (non mais vraiment, pourquoi se casser la tête à faire original quand on peut si facilement recycler???), et sur le second dans un bar quelconque du quartier. Dès lors j’étais lancé, et il ne me restait plus qu'à vous parler (oui, je vouvoie mon lecteur, comme ça on croit qu'il y en a plusieurs...) des « majorités minoritaires ».

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Alors me demandera-t-on, qu'est-ce qu'une majorité minoritaire, à part un oxymore facile et un concept foireux sorti tout droit de mon esprit alambiqué? Et bien la majorité minoritaire désigne tout simplement ces individus que le premier réflexe inciterait à ranger dans un groupe majoritaire, mais qui appartiennent en réalité, quand on les observe plus attentivement, à une véritable minorité, ce qui les incite à modifier leurs comportements pour faire de nouveau partie d'une majorité. Vous avez compris quelque chose à ce que je viens d’écrire ? Et bien moi non plus... mais deux exemples vont nous permettre de nous rendre compte de ce dont il s'agit réellement.

  • Prenons Didier, jeune homme blanc, blond, français de souche, hétérosexuel et catholique (oui, certains accumulent les tares, je sais...). Et bien tout nous incite à penser que Didier fait bien partie de la majorité dominante en France, par opposition à ceux qui présentent la particularité d’être femmes (ça existe, j'en connais), noirs, roux (il y en a aussi qui osent tout!), immigrés, homosexuels ou protestants. Précisons toutefois que ledit Didier réside dans un quartier à forte densité de population musulmane, à tel point qu'il n'y a plus, à proximité de chez lui, que des boucheries de type halal  des kebabs, des mosquées et des femmes voilées (oui, tout de suite ça fait rêver). Des lors, force est de constater que notre sympathique Didier fait en réalité partie d'une minorité là où il habite, faisant ainsi du concept de majorité un terme plutôt relatif. Ça va ? Vous suivez ? Non mais restez, le plus intéressant est à venir : maintenant comment réagit Didier ? Et bien tout porte à croire que notre ami, sous la pression sociale, sera de plus en plus incité à adopter certains us et coutumes de ses voisins, à commencer par la religion de ceux que l'on pourrait qualifier de ce fait de « minorité majoritaire » (c'est subtil hein?). Certes, me répondra-t-on peut-être (à défaut de bâiller) mais si ce phénomène est vrai à l’échelle du quartier, pourquoi ne le serait-il pas à l’échelle nationale ? Ainsi pourquoi la minorité musulmane n'adopterait pas les us et coutumes de la majorité vaguement chrétienne du pays ? Je crois que la réponse tient au caractère même de ce qu'est une minorité : celle-ci a tendance à protéger sa spécificité parce qu'elle se sent menacée (regardez ce qui se passe avec les Québécois par exemple, qui ont plus à cœur de défendre la langue française que les Français eux-mêmes) alors que la majorité dans le même temps, se sentant sûre d’elle-même, baisse sa garde. Mais l'exemple que j'ai pris n'est pas anodin (je suis fourbe, rappelez-vous!) et je crois que dans ce cas précis il est possible d'ajouter autre chose : la communauté musulmane apparaît à beaucoup, vue de l’extérieur, comme un clan soudé, et ceci contraste avec ce que nombre de Français de souche (nous allons considérer que les Français de souche sont majoritairement chrétiens ou athées et que les musulmans sont principalement d'origine immigrée pour simplifier) peuvent ressentir dans leur vie de tous les jours : une sorte d'abandon alors que la société occidentale s'est considérablement individualisée au nom de la liberté de la personne et de la lutte contre les vieilles traditions vues comme aliénantes. On pourrait penser que l’être humain a instinctivement besoin de faire partie d'un clan, et il est dès lors compréhensible que le spectacle d'une communauté en apparence solidaire attire un Didier se sentant quelque peu isolé au sein de son propre quartier, et aimerait bien être intégré socialement et pouvoir compter sur des « frères ».


  • Pour le second exemple, reprenons notre pauvre Didier, qui décidément n'a pas de chance. Tout frais converti qu'il est, ne voilà-t-il pas qu'il se retrouve à travailler au sein d'un milieu dans lequel presque tous les employés sont homosexuels (salon de coiffure, troupe de danse classique, haute couture, et autres clichés éculés...). Didier se sent un peu à part, il faut bien le dire, même si ses collègues sont apparemment fort sympathiques, cultivés, ouverts, et ma foi bien détendus du slip. Convenons-en, Didier est là encore un cas de « majorité minoritaire », et ce n'est pas sa manie de toujours se mouvoir le dos plaqué au mur qui arrangera les choses. La situation n'est toutefois pas si simples, et Didier se sent interloqué par ce milieu qu'il connaît finalement assez mal, celui des « gays ». Comme il a l'air coincé et ennuyeux à côté d'eux ! Ils ont l'air de si bien s'entendre entre eux, de former une sorte de fratrie unie, que rien ne semblerait pouvoir ébranler (une fois encore ne voyez pas de jeu de mot douteux là où il n'y en a pas...). Didier se dit que, vraiment, les homosexuels ne sont pas si étranges que cela... d'accord, certains sont un peu efféminés et irritants par instant avec leurs manières disons... euh... maniérées, mais bon, ils ne font de mal à personne, et puis ils sont si branchés, si « cools ». Peu à peu, une étrange idée germe dans l'esprit de Didier : et s'il se rapprochait d'eux ? S'il devenait l'un des leurs ? La perspective d'avoir mal au fondement ne le réjouit guère, mais après tout eux n'ont pas l'air de s'en plaindre, et tant qu'il n'a pas essayé, comment peut-il juger ? De plus on lui a dit que les individus préférant les personnes du même sexe trouvaient des partenaires très facilement, eux, et qu'ils croulaient souvent sous les propositions, multipliant les aventures, les veinards ! Ce n'est pas comme lui qui doit perdre son temps à offrir péniblement un verre, des fleurs, des places de cinéma, un bijou, un petit voyage, un hidjab tout neuf... que ne faut-il pas faire dans son cas pour arriver à ses fins ! Et encore, ce n'est pas toujours garanti ! De leur côté ses amis homosexuels ne semblent pas du tout attirés par l'univers hétérosexuel qui doit leur sembler si commun, si ennuyeux, si terne, si tristounet. Non vraiment, il y a sans doute des choses extraordinaires à découvrir dans la culture gay, des sensations nouvelles, surprenantes, et Didier sent bien qu'un jour, tôt ou tard, il voudra franchir le pas, même si l'attirance physique n'y est pas. Du moins pas encore, qui sait ? Et puis il faut bien avouer que la position de prière qu'il a récemment adoptée à la suite de sa conversion peut grandement lui faciliter les choses...


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Oui, bon sinon, il faudra peut-être que je m’attelle à la rédaction d'un truc vaguement intéressant et pertinent  moi, un jour ou l'autre. Comme Didier je découvrirais sûrement des sensations inconnues...

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