samedi 18 juin 2011

Les chats de Charlot

Comment un obsédé pervers authentique amoureux des chats peut-il passer sous silence les pièces admirables que Baudelaire a consacrées à ces éternelles et fascinantes créatures?
Elles sont au nombre de trois dans les Fleurs du mal, et, fait intéressant, elles appartiennent toutes à la section Spleen et Idéal qui contient également les poèmes associés à Jeanne Duval (la Vénus noire), Madame Sabatier (la madone), et Marie Daubrun (qui préféra finalement Banville à notre ami Charlot, ce qui revient quelque peu à délaisser Brel pour Grand Corps Malade, mais nous nous éloignons du sujet...).
C'est ainsi que le chat, pour Dieu Baudelaire, est bien plus qu'un animal de compagnie ou une source d'inspiration, mais une incarnation de tout ce qui le séduit chez la femme : beauté, mystère, indolence, cruauté, délicatesse, raffinement, souplesse, grâce, musicalité de la voix, bref féminité...
D'ailleurs la femme, pour Baudelaire est bien plus qu'une compagne, elle représente surtout un but mystique, inatteignable de par sa pureté, ce qui renvoie à l'amour courtois des chevaliers de naguère pour une dame considérée davantage comme un ange que comme une mortelle imparfaite. Mais elle est également synonyme de passion, de sensualité, de joie de descendre, et s'apparente véritablement à un antidote charnel contre l'Ennui d'ici-bas, le célèbre « ennemi » baudelairien, et le spleen qu'il induit.
Ainsi il n'est guère étonnant que Charlot emploie, pour décrire le majestueux Felis Catus les mots et les images que l'on adresserait à une jeune fille tant ces deux êtres, le chat et la femme, sont pour Baudelaire des drogues, des paradis artificiels destinés à lui faire oublier « l'horreur de la Vie »...

Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté
Ils cherchent le silence et l'horreur des ténèbres ;
L'Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin ;

Leurs reins féconds sont pleins d'étincelles magiques,
Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.


Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l'entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C'est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.

Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux !

II
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.

C'est l'esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?

Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tirés comme par un aimant,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,

Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales
Qui me contemplent fixement.


Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux
Mêlés de métal et d’agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit ; son regard,
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.

Le genre de félin qui aurait inspiré Baudelaire

2 commentaires:

  1. Je me faisais la réflexion l'autre jour, en lisant un livre d'une soeur Brontë où une mère dit gentiment à sa fille "Pourquoi ne vas-tu pas jouer avec le chat?", que dans la littérature (du moins jusqu'au 19e s), le chat est souvent le compagnon des jeunes filles candides et virginales (une espèce aujourd'hui disparue), alors que le jeune garçon noble et plein d'avenir (bref qui bénéficie de la tune des parents) traîne ses savattes avec le clébard de la famille (ça vaut aussi pour les jeunes garçons qui éprouvent des difficultés sociales et sont stigmatisés par les bourgeois, cf Rémi sans famille).

    Le chat a souvent eu en effet une image "féminine", alors que les trucs qui aboient étaient un des accessoires de la masculinité (les chasseurs qu'on voit chez Dumas, Maupassant ou autres rentrent à la maison entourés de leur meute qui ne sait qu'hurler autour du maître, verrait-on une meute de chats agir de même? Non, d'ailleurs, les chats n'ont pas de maîtres mais des esclaves).

    Il paraît que chaque homme a une part féminine : quant à moi ma part féminine ronronne et sa voix est toujours riche et profonde...

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  2. Je suppose que c'est quand une femme dévoile son côté masculin qu'on dit d'elle qu'elle a du chien.
    Ok, ok, je sors...

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