jeudi 30 juin 2011

« Ils » ne pensent qu’à « ça » !

- Pour dernière fois, Camille, montre-nous comment on fait!

Le petit garçon tremble, en entendant cette voix sèche dont l’écho roule de mur en mur. Devant lui sont rassemblés une soixantaine d’écoliers assis à même le sol, entourant la directrice ainsi que quelques unes de ses subordonnées. Tous les enfants étrennent la même tenue indifférenciée, une blouse grise, quel que soit leur sexe, et tous ont les yeux fixés sur lui.

- Allons, que t’a-t-on appris ? reprend la directrice sur un ton encore plus autoritaire 

Camille contemple le pot bleu qui gît à ses pieds. Un profond sentiment d’humiliation l’envahit, les larmes roulent sur ses petites joues, mais il sait qu’il ne peut désobéir. Alors reniflant, ravalant ses pleurs, il baisse sa culotte et se laisse tomber sur le siège en plastique en prenant soin de ne croiser le regard de personne.

- Bien Camille, tu vois que tu peux quand tu veux ! 

La directrice de l’école maternelle se lève et vient se placer près de Camille en faisant face aux autres élèves. Pas un ne souffle mot ou ne rigole malgré le caractère profondément ridicule de la situation.

- Vous avez bien compris ? Voila position que vous devez tous adopter à partir de maintenant ! Prochain que je surprendrai debout contre arbre aura des problèmes, de très gros problèmes, c’est clair ?


L’établissement « L’espérance », nouvellement inauguré et auquel le conseil général avait alloué des subventions importantes, était véritablement la fierté du département. Fruit d’âpres négociations, il représentait une victoire éclatante des milieux progressistes, et les associations féministes et antiracistes qui avaient participé au projet se félicitaient de cette avancée chèrement acquise contre les partis rétrogrades et nostalgiques d’un passé heureusement révolu.
Destinée aux enfants de trois à six ans, l’école se voulait un laboratoire pour l’avenir, avec pour objectif de lutter contre « les préjugés sexistes et racistes » qui infectaient les cervelles dès le plus jeune âge. Ainsi, les petits garçons et les petites filles se voyaient affublés du même uniforme et devaient manipuler les mêmes jouets – des figurines représentant des personnages asexués à la peau noire. Tout jeu faisant intervenir des comportements à même de réveiller des instincts primaires et dangereux était proscrit. C’est ainsi que les garçons n’avaient pas le droit de s’amuser avec des petites voitures ou des pistolets à eau, et il était défendu aux filles d’amener des poupées en forme de gros poupons, ces objets d’amusement haïs qui ancraient si bien la soumission de la femme à l’homme dans l’esprit des enfants.
En ce qui concernait les méthodes d’apprentissage, et le contenu des programmes, il s’agissait là aussi d’innover en enseignant une grammaire nouvelles aux élèves, débarrassée de tout caractère sexiste. De ce fait les pronoms « il » et « elle » avaient disparu des manuels, remplacés par « ça », quel que soit le sexe de la personne désignée, et plus aucun mot de la langue française n’était pourvu d’un genre. Les articles « un », « une » et « le », « la » étaient systématiquement effacés et seuls « l’ », « les » et « des » était conservés. Par exemple on ne disait plus « elle a mis la dinde dans le four » mais « ça a mis dinde dans four ». Les adjectifs n’étaient bien entendu plus accordés, faute de distinction entre le féminin et le masculin.

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La chaleur de l’après-midi plonge les élèves dans une morne torpeur. Ils sont assis dans la grande bibliothèque autour de l’institutrice qui leur lit une fable tirée d’un recueil pour enfants :

Dominique, petit ourson, se promenait dans forêt avec ses amis les écureuils et les oiseaux quand ça entendit bruit tout proche. Ça aperçut alors autre petit ourson qui semblait perdu. 
- Bonjour dit Dominique, qui es-tu et que fais-tu seul ici ? 
- Bonjour fit petit ourson noir, je m’appelle Moussa, je me cache parce que je suis poursuivi par méchant ours blanc intolérant qui veut me manger parce que je suis noir et que je suis amoureux d’autre ourson qui s'appelle Adrien. Veux-tu m’aider à lui échapper comme cela nous deviendrons amis ! 
- Bien-sûr, répondit Domini… 

L’institutrice s’interrompt brusquement ; quelque chose ne va pas parmi les élèves, elle le sent, et levant les yeux du livre elle aperçoit la jeune Émilie penchée sur un objet qui semble capter toute son attention.

- Émilie que fais-tu ? Tu m’écoutes ? 

La petite fille sursaute et laisse tomber à terre ce qu’elle tenait entre les mains. C’est l’une des figurines asexuées que l’on confie volontiers aux enfants, mais quelque chose ne va pas : le visage de la poupée est peinturluré de telle sorte que ses yeux semblent maquillés et du crayon rouge a été appliqué autour de sa bouche en guise de rouge à lèvres. De plus la petite fille l’a affublée d’une jupe de papier, maladroitement découpée, tout en collant sur son buste deux petits tas de coton faisant figure de poitrine féminine.
L’institutrice pousse un cri.

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- Madame, Monsieur, votre fille a commis quelque-chose de très grave, en complète opposition avec les principes républicains qui régissent les règles de cet établissement ! 

Devant la directrice se tiennent les parents d’Émilie. Le père reste droit sur sa chaise, stoïque, bien que livide. La mère quant à elle s’appuie sur l’épaule de son mari, le nez enfoui dans un mouchoir. Elle renifle et sanglote.

- Je… je ne comprends pas dit-elle, nous avons toujours veillé à la bonne éducation d’Émilie, depuis sa naissance, et nous avons pris soin de lui acheter des jouets non sexistes. Elle n’a jamais eu de poupée, au contraire, nous lui offrons toujours des ballons ou des animaux en peluche ! 

- C’est vrai, renchérit le père, nous faisons très attention à ce qu’elle ne puisse développer le moindre préjugé. Par exemple nous ne l’habillons jamais avec une robe, et nous prenons soin de vérifier ses fréquentations. Ainsi nous l’incitons fortement à choisir ses petits camarades parmi des enfants de couples homosexuels afin qu’elle ne puisse pas considérer l’hétérosexualité comme une norme. 

- Certes, vos efforts sont louables, reprend la directrice d’un ton sec, mais je remarque toutefois quelques concessions aux idées d’un autre âge. Ainsi par exemple son prénom, Émilie, vous auriez pu choisir quelque chose de moins connoté sexuellement, comme Paule ou Renée, ou tout du moins éviter un nom qui rappelle la France profonde. Houria ou Rokhaya, c’est très beau vous savez ! 

- C’est que… répond le père, nous voulions l’appeler différemment, Émilie ça fait trop vieille France comme on dit, mais sa grand-mère a tellement insisté pour que l’on prenne un prénom norm… je veux dire classique. 

- Je veux bien vous croire, soupire la directrice. Il n’empêche que votre fille a développé des habitudes préoccupantes et qu’il est urgent de corriger si vous ne voulez pas qu’elle devienne une femme conditionnée par un système phallocrate. Savez-vous qu’elle se maquille en cachette ? Cela ne concerne plus seulement ses jouets désormais… 

Elle se lève et fait quelques pas vers la porte de son bureau.

- Tenez, allons la voir, il est bon qu’elle vous sache déjà au courant de cette regrettable histoire. 

Les trois adultes prennent une enfilade de couloirs et arrivent dans le hall principal de l’établissement où se tient Émilie, sur une chaise, au milieu de tous les petits élèves disposés en cercle. Quelques instituteurs surveillent les enfants. La directrice reprend la parole.

- Émilie, j’ai le regret de vous le dire, est une enfant indisciplinée et rétive à tout ce que nous pouvons lui enseigner pour son bien futur. Certes elle n’est pas agressive et serait même plutôt une douce rêveuse, mais il y a tout de même des comportements que nous ne pouvons tolérer. D’ordinaire nous condamnons fermement tout châtiment corporel sur les enfants, surtout venant d’adultes, mais dans les cas aussi graves nous ne pouvons nous permettre d’être aussi compassionnels. 

Ce faisant elle se retourne et présente à la mère de la fillette un petit martinet en plastique.

- Il incombe aux parents de veiller à ce que leurs enfants adoptent tôt le bon comportement. Je vous en prie Madame ! 

La jeune femme tremble en tendant sa main vers l’instrument. Elle voit du coin de l’œil Émilie enfouir son visage dans ses bras. Non elle ne peut pas frapper ainsi son propre enfant...

- Je déplore votre manque de discernement et le déni de vos responsabilités, Madame. Si sa propre mère reprend les schémas culturels traditionnels considérant la femme comme un être faible et geignard il n’est guère étonnant qu’Émilie, faute de modèle, ne puisse se construire librement ! J’ose espérer que votre mari sera plus ferme ! 

Le père hésite longuement mais, sous le regard inquisiteur de la directrice, il s’empare du martinet et porte un coup timide à sa fille qui se met à pleurer. 

- Plus fort ! Vous ne risquez pas de la blesser, il est en plastique ! 

L’homme s’exécute.

- Recommencez tout en lui disant « Tu seras femme libéré et non soumis » 

- Tu… tu seras femme libéré et non soumis ! 

La petite fille crie.

- Encore ! 

- Tu seras femme libéré et non soumis, dit le père en faisant de nouveau claquer le martinet sur le corps de son enfant

- Continuez ! 

- Tu seras femme libéré et non soumis ! 

Un hurlement couvre sa voix.

- Allez, du nerf ! 

- Tu seras femme… 

Émilie s’écroule sur le sol au milieu des autres élèves.

 
Marie-Jo, directrice d’école maternelle et ancienne surveillante de goulag officier de police nous déclare : « les enfants, c'est que du bonheur ! »

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