vendredi 24 juin 2011

Nouvelle : “2011, une satire nauséabonde” - EPILOGUE

Martin reprit sa route, imperturbable, le pas hésitant. Bientôt les derniers échos de la fête officielle s'étouffèrent et il ne perçut plus que le bruit sec de ses pas claquant sur le pavé. Il se sentait terriblement seul.
C’est alors qu’il l’entendit, frêle comme le chant d’un oiseau. C’était un petit garçon, à quelques mètres de lui, tout seul, assis à même le trottoir, les pieds trainant distraitement des cailloux dans le caniveau. Il était étrangement vêtu comme un gamin du Paris d’antan, culottes courtes, souliers vernis, chandail et béret noir. Il ne faisait pas attention à l’homme interloqué qui l’observait non loin de là, et dont il ne remarquait pas même la présence. Perdu dans ses pensées il chantonnait de sa voix fluette :
« Ami entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ? »

Martin se hâtait de rentrer chez lui en raison du froid et du brouillard persistant. Chemin faisant il se surprit à fredonner les paroles familières que le poulbot récitait nonchalamment :
« Ami si tu tombes un ami sors de l’ombre à ta place »
C’était un air simple qui imprégnait son cerveau, jusqu'à sa conscience en y laissant une marque indélébile, presque inquiétante.
Comme il passait par un entrelacs de ruelles qu’il n’avait pas l’habitude de prendre, il déboucha soudain sur une place déserte, noyée de brume, au milieu de laquelle se dressait une stèle sombre dans la pâleur fantomatique, figée comme la figure de proue d’une épave surgie des profondeurs.
Il ne parvint pas a distinguer au premier abord ce qu'était exactement cette construction isolée dans ce lieu où nul ne venait plus, aussi il s’approcha prudemment. C’était une sorte d'obélisque sale, couvert de salpêtre, et sur lequel étaient gravées des myriades de mots alignés dans un ordre implacable. Il y en avait des centaines mis les uns à la suite des autres, tapis sous la saleté et « les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds ».
Martin, en s’approchant, se rendit compte que beaucoup de ces mots étaient en fait des prénoms qui sonnaient familièrement à ses oreilles : Damien, Jean-Charles, Édouard, Jules, Guillaume, Yohann, Dominique … et lorsque levant les yeux, il aperçut des lettres immenses au sommet du monticule de granit qui se tenait là , terrifiant comme la statue du commandeur, il ne put retenir un frisson et un cri quand il déchiffra lentement :

« MORTS POUR LA FRANCE »


FIN

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