lundi 23 mai 2011

De l’art moderne

Il existe au sein de nos sociétés hautement civilisées une race d’êtres extrêmement nuisibles.
Attendez… on me souffle à l’instant que pour les humains, contrairement aux autres espèces animales, il n’y a pas de races, juste des différences morphologiques (de même qu’il n’y a pas de « chats », mais « des animaux qui miaulent », ignorants que vous êtes… !), mais comme je parle d’individus qui n’ont rien de commun avec Homo Sapiens, je saute le pas allégrement et d’un cœur léger. Inutile donc de me dénoncer à la Stasi la Licra, au MRAP et autre glorieuse invention de nos temps modernes.
Je disais donc, avant d’ouvrir une énième parenthèse sans intérêt, que nous sommes menacés par des créatures d’un autre monde, peu nombreuses, mais particulièrement douées pour nous faire perdre tout sens commun et nous transformer en épaves aux cerveaux liquéfiés tels des auditeurs de Skyrock.
On les rencontre généralement au sein des milieux culturels où ils règnent en maîtres, semant ça et le mauvais goût et la niaiserie avec un entrain et une jubilation qui forcent l’admiration. On pourrait certes parler d’aristocrates de la bêtise tant la morgue avec laquelle ils toisent l’homme ordinaire qui a l’affront de ne pas les juger géniaux rappelle une certaine forme de condescendance des castes privilégiées de l’Ancien Régime, et ce ne sont probablement pas les panégyriques affligeants à leur gloire que l’on trouve dans les magazines de bobos prétentieux Télérama ou les Inrockuptibles qui les feront un jour descendre du petit monticule fangeux qui leur tient lieu de piédestal.

L’une de leurs passions est de « réinterpréter les œuvres classiques et figées pour en extraire une nouvelle forme de questionnement du spectateur » en clair, de saloper notre patrimoine artistique, au point d’en être étrangement fiers.
Je me souviens ainsi d’une représentation du « Parsifal » de Wagner il y a quelques années de cela pour laquelle le metteur en scène, issu de cette engeance délétère, avait imaginé une réalisation particulièrement délirante. On nous gratifiait ainsi du plaisir de contempler à l’acte trois un garçonnet en train d’arroser méticuleusement des plantes en plastique au moyen de lavabos trônant en plein milieu d’une forêt, et ce sans le moindre rapport avec le thème de la scène. De plus la confrérie des chevaliers du Graal siégeant au sein du domaine de Montsalvat était purement et simplement remplacée par des étudiants dans un amphithéâtre de médecine. Absolument fabuleux. Et encore je vous passe la projection d’extraits des films « 2001 : l’odyssée de l’espace » et « Allemagne : année zéro ». Le lecteur qui saura trouver le lien entre ces œuvres cinématographiques et le thème de l’opéra gagne une journée à Eurodisney avec Buren (en même temps je ne risque pas grand-chose vu le nombre d’internautes qui errent en ces lieux en recherchant surtout la sortie… ha ha ! Genre que j’ai des lecteurs !).
Quand l’un de ces êtres aussi sinistres et malfaisants qu’un cuisinier anglais ne peut exercer son « talent » sur une œuvre dramatique, il se console en « explorant » d’autres domaines artistiques, ce qui lui vaut généralement de rester en extase devant son propre travail, tel un facétieux équipage de B-17 au-dessus d’une riante et paisible ville japonaise un beau matin d’août 1945. L’anecdote ci-dessous peut ainsi donner une idée de l’anomalie que représentent ces amoureux du saccage et de la coprophagie lorsqu’ils ont la possibilité d’exposer ce qu’ils ont accompli dans un cadre prestigieux :

La scène se passe dans un célèbre musée parisien jouxtant le jardin des Tuileries et la rue de Rivoli. Un quidam (que nous nommerons « Gugusse ») erre en silence dans les multiples galeries ornées des plus beaux trésors de l’humanité alors que le soleil couchant les baigne d’une chaude lumière crépusculaire. En quittant une salle entièrement consacrée aux peintures de Rubens, son regard est soudain attiré par une scène des plus étranges ; devant lui se dressent deux jeunes gens, un homme et une femme, visiblement possédés, en pleine contemplation d’un tas de pierres informe au milieu des Rembrandt. En s’approchant, Gugusse s’aperçoit que l’objet de leur intense discussion est en réalité un amoncellement de pierres tombales anonymes parmi lesquelles gît un ver de terre géant en caoutchouc auquel on a greffé une tête humaine.

- Magnifique pièce de Raoul, n'est-ce pas?

Gugusse sursaute ; c’est le jeune homme qui lui a parlé. Ce dernier ressemble à un étudiant sous l’effet d’un stupéfiant particulièrement puissant :

- Raoul par cette sculpture cherche à rappeler que chaque artiste se nourrit de ceux qui l’ont précédé. C’est ainsi qu’il s’est représenté sous les traits d’un lombric errant dans un cimetière et se nourrissant de cadavres : chaque tombe représente un peintre, un musicien ou un écrivain bien précis qui constitue ainsi une influence majeure pour Raoul. C’est un hommage émouvant à tous ceux qui lui ont permis de devenir le maître qu’il est!
- Magnifique ! lance la guillerette jeune fille, visiteuse vraisemblablement perdue au milieu des toiles de maîtres et qui semble soulagée et ravie de découvrir soudain une œuvre à son niveau.

 

Gugusse recule, quelque peu interloqué. Il se souvient qu’effectivement dans le hall du vénérable bâtiment il a aperçu une affiche à propos d’une exposition temporaire des œuvres d’un certain Raoul au sein même du musée, afin de « permettre le dialogue des œuvres d’art au travers des siècles ». Alors qu’il est sur le point de demander à son guide improvisé si le sculpteur a justement utilisé des matériaux recyclés, son œil est attiré par un écran géant sur lequel est diffusée une scène étrange : dans une cage de verre un homme vêtu d’un plastron d’armure médiévale en plastique agite des morceaux de viande éparpillés sur le sol. L’étonnement de Gugusse n’échappe pas à l’étudiant qui poursuit, sérieux comme un pape devant un arrivage tout frais d’enfants de chœur premier choix : 

- Vous voyez là une vidéo où Raoul s’est filmé lui-même. Une interprétation possible est que le grand homme a voulu interroger notre rapport à la vie et à la mort, deux thèmes symbolisés par la dualité de la viande. En jouant avec, Raoul fait mine de faire voler en éclats cette cage qui nous étouffe tous et représente notre peur face à notre impossibilité de comprendre et dépasser ces phénomènes qui font de nous des hommes prisonniers de leurs angoisses existentielles. 
- Magnifique ! rétorque de nouveau la jeune fille au bord de l’extase pour qui la découverte des œuvres de Raoul représente visiblement une alternative intéressante à l’élevage intensif de canards en plastique. 

Le petit groupe poursuit ainsi sa visite au milieu des œuvres diverses que l’admirateur zélé de Raoul s’empresse de commenter avec la passion de DSK pour tout ce qui étrenne une robe et un aspirateur passion. Gugusse remarque bientôt une plaque de béton nue, une sorte de piédestal posé au milieu d’un grand escalier de marbre.

- Il s’agit d’une des productions maîtresses et révolutionnaires de Raoul, déclare son encombrant compagnon, anticipant la question de l’ingénu. Ce socle, apparemment vide, contient en fait toutes les œuvres du monde. Raoul a eu l’idée de faire voler en éclat notre conception traditionnelle de la sculpture où un artiste dévoile le fruit figé de son travail à un public. Dans notre cas Raoul, par cette provocation sublime, rappelle à chacun d’entre nous que nous ne sommes pas uniquement des spectateurs, mais également des acteurs, et force notre imagination à remplir cet espace vide. Il s’agit d’un concept très original qui permet à chacun de combler ce manque par ses idées et fantasmes forcément différents d’un être à l’autre, d’où le caractère unique de ce projet, éternellement réinventé… 

Gugusse reste un instant coi tant sa surprise est forte.

- Et… et il a réussi à obtenir d’un musée connu dans le monde entier d’être ainsi exposé ? 
- Oh la gloire de Raoul ne s’arrête pas là, savez-vous qu’il est question de débaptiser un lieu de Paris, qui porte d’ailleurs actuellement le nom d’un autre sculpteur, pour lui donner celui de Raoul ? 
- Ah bon… et lequel ? 
- Pigalle, pourquoi ? 
- Magnifique ! lança entre deux gémissements la jeune fille avant de s’écrouler sur le parquet, secouée de spasmes et hoquetant de plaisir.

 
Amis dragueurs et autres amateurs de galipettes, sachez-le : les artistes modernes emballent secs. Voyez Christo…

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