jeudi 5 mai 2011

Nouvelle : « 2011, une satire nauséabonde » - CHAPITRE III

Le pauvre homme, seul au monde devant des millions de téléspectateurs, ne se doutait pas à cet instant que d’autres connaissaient une situation similaire et suaient sang et eau pour trouver l’inspiration. En effet, a quelques mètres de là, dans un bureau étroit, les trois auteurs des « Bouffons de l’info » se lamentaient devant leurs feuilles vierges, incapables de lutter contre « le vide papier que la blancheur défend ».

Premier auteur : Je sèche !
Deuxième auteur : Je sèche, je sèche !
Troisième auteur : Mon dieu, toujours rien !
Deuxième auteur : Mais je n’ai vraiment aucune idée pour l'émission de demain !
Premier auteur : Comme d’hab’ quoi !
Deuxième auteur : C’est ça fais ton malin, toi qui n’a pas été foutu de nous sortir une blague potable en quinze ans de carrière !
Troisième auteur : Hé les gars du calme ! Souvenez-vous un peu de notre objectif principal ! Un peu de motivation !
Les deux autres auteurs (soupirant) : Oui, on sait… « Faire de la lèche à José Bovin sans que ça se voit de trop »
Troisième auteur : Voilà, alors j’aimerais un peu plus d’ardeur s’il vous plait !
Deuxième auteur : N'empêche que je le dis et le répète, je n’ai vraiment rien là !
Premier auteur : Moi non plus… messieurs je crois qu’il est temps de passer au plan de secours ! C’est vraiment la dèche !
Troisième auteur : Encore ! mais c’est ce qu’on a fait hier, et avant-hier aussi ! Il ne faut pas que cela devienne une habitude !
Premier auteur : Je sais mais… nous n’avons pas le choix !

Alors d’un air las il se leva, ferma à clé la porte du cabinet pour être sûr que personne ne pouvait les surprendre et se dirigea vers un placard qu’il ouvrit précautionneusement

Deuxième auteur : Mois fort, ça grince ! On va nous entendre !
Premier auteur : Je fais ce que je peux !

Enfin il sortit une petite boîte en carton sur laquelle étaient marqués au feutre rouge les mots « Danger ! » et « Ne pas toucher ! ». Il la posa sur la table, au milieu des feuillets raturés, et les trois hommes se regardèrent sans rien dire. Enfin l’un d’eux osa briser le silence.

Troisième auteur : Bon il faut y aller, qui se dévoue là ?
Deuxième auteur (dans un long soupir) : Bon allez, j’y vais !

Il plongea sa main dans l'étrange coffret sous le regard mi-inquiet mi-résigné de ses compagnons et en extirpa…
Deuxième auteur : Voilà

Il tenait dans le creux de sa main un CarambarTM qu’il dépiauta lentement.

Deuxième auteur (lisant le papier qu’il tenait entre ses mains) : C’est une petite fille qui s’adresse à un petit garçon de sa classe : « Dis, tu n’as pas honte de t’appeler « Poil à souris » ?» « Ben non, répond le petit garçon, toi tu t’appelles bien Barbara ! »
Premier auteur : Oui… pas mal celle-là ! 
Deuxième auteur (prenant son stylo en soupirant) : Allez... on la prend! 

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Constatant que son émission favorite s’était interrompue de façon intempestive, Martin poussa tout bas un juron (garanti non offensant pour quelque minorité que ce soit) et chercha un autre programme susceptible de le satisfaire, mais rien ne l'intéressait vraiment.
Tout au plus tomba-t-il sur un ennuyeux débat entre deux anciens premiers ministres dont il avait oublié les noms. A vrai dire il était incapable de dire à quel bord chacun appartenait et l'inanité des questions soulevées finit de le convaincre que rien, décidément, ne pouvait le retenir devant le petit écran ce soir-là :

Premier ancien premier ministre : … mais bien-sûr que ma politique a été bonne pour le pays ! Dois-je vous rappeler que sous mon gouvernement la France a gagné la coupe d’Europe ? Vous ne pouvez pas en dire autant !
Second ancien premier ministre : Et moi je vous dis que vous avez bradé l’avenir de la France et son image ! Tenez, prenez la culture par exemple ! Vous n’avez rien fait pour ! Au contraire vous avez réduit le budget du ministère qui lui était dévolu !
Premier ancien premier ministre : Je vous arrête tout de suite, j’ai fait énormément pour la culture ! La preuve : je n’ai pas nommé Djack Langue ministre !

Martin éteignit son téléviseur sans un mot. Songeur, il regarda son mégot qui finissait de se consumer dans le cendrier. Les propos du sociologue révélés par la machine l’avaient mis en alerte ; quelque chose se tramait en France, il en avait le pressentiment, et ce qu’il venait d’entendre ne faisait que confirmer ses soupçons. C’était toutefois une inquiétude vague, presque irréelle. Il ne savait pas concrètement ce qui posait problème, ce qui pouvait présenter un danger. Il ne pouvait encore mettre de mot sur ce sentiment lancinant qui l’envahissait irrémédiablement.
Il n’avait pas été préparé à penser à cela…
Alors qu’il se couchait, son chat multiculturel se blottissant contre lui, il se mit à penser à ce qu’avait dit l’un des membres du groupe ZEP lors de leur entrevue pleine d'échanges fructueux avec les jeunes de banlieue. Il avait évoqué l’expulsion récente des Roms par le gouvernement. Alors qu’il se laissait progressivement engourdir par les ronronnements réguliers de son compagnon félin, Martin se demanda si le doute qui le gagnait n’avait pas un rapport avec cette affaire.
Il se souvenait d’une vidéo, trouvée sur Internet, montrant un jeune rapeur répondant au pseudonyme de Quiddam, qui pour dénoncer cette histoire de renvoi d'étrangers chez eux et de déchéance de la nationalité française (et également pour se faire connaître diront certains) n’avait rien trouvé de mieux que de se filmer en train d’appeler les pauvres fonctionnaires de la mairie de Paris pour savoir s’il lui était possible d’abandonner sa nationalité française de son propre chef. Le résultat de l’entretien était ainsi proposé aux internautes, agrémenté en fond sonore de la musique de son dernier opus qui ne laissait aucun doute quant à ses qualités artistiques. Le résultat hautement déplorable donnait à peu près ceci (le lecteur sera reconnaissant envers l’auteur de lui épargner le son) :

Quidam (avec un fort accent de banlieue difficilement compréhensible) : Euh allo? C’est la mairie d’Paris?
Voix féminine de répondeur automatique : Vous venez de composer le numéro de la mairie de Paris. Si vous souhaitez participer à la Gay Pride sur le char du maire, faites 1. Si vous voulez soutenir le maire pour la candidature de Paris aux JO de 2072 faites 2. Si vous souhaitez un exemplaire dédicacé du dernier livre du maire faites 3. Si vous souhaitez bloquer des rues pour faire votre prière faites 4. Pour accéder au service des activités culturelles et artistiques faites 5 Pour tout autre renseignement faites 6
Quidam : Euh…ben…six
Répondeur : Veuillez répétez je n’ai pas compris votre demande
Quidam : Euh ben six PUTAIN!
Répondeur : Vous avez demande “un” : vous souhaitez participer a la Gay Pride avec le maire. Ne quittez pas, un agent va vous répondre
Quidam : Mais non zyva! Hé poufiasse c’est pas c’que j’ai d’mandé!
Standardiste : Comité d’organisation de la Gay Pride j’ecouuuuuute! Je vous préviens tout de suite pour défiler avec le maire il faut faire la queue….Hu! Hu!
Quidam : Hé mais non j’appelle pas pour ça, moi j’veux plus être français!
Standardiste : Pardon monsieur?
Quidam : Wesh! comment que j’fais pour plus etr’francais?
Standardiste : Vous voulez prendre des cours de français? Ah non vous vous êtes trompé de service monsieur je transfère votre appel au service “accueil des étrangers et cours de français”
Quidam : Hé mais non NON!
Deuxième standardiste : Service accueil des étrangers j’ecouuuuute
Quidam : Euh mais zyva la chuis pas là pour ça moi c’est l’contraire!
Deuxième standardiste : Pardon monsieur de quelle nationalité êtes-vous?
Quidam : Ben chuis français comm’toi, kesta, tu m’crois pas?
Deuxième standardiste : Pardon? Vous êtes français monsieur?
Quidam : Zyva! Dis tout’d suite que j’peux pas etr’français avec ma manière d’parler là! chuis français autant qu’toi!Et j’fous un coup d’boule au premier qui dit que chuis pas français!!!
Deuxième standardiste : Non mais vous appelez pourquoi?
Quidam : Ben pour plus etr'français!!!
Deuxième standardiste : Hein!?!  
Quidam : Ben oui koi, moi j’veux plus etr’français, j’veux etr’européen! 
Deuxième standardiste : Ah j’ai compris, c’est Lafesse au téléphone hein, c’est ça? Les gars! c’est un canular téléphonique! 
Quidam : Zyva c’était quoi les autres numéros, les autres renseignements, euh “cinq” je crois! 
Troisième standardiste : Quoi? Qu’est s’tu veux? 
Quidam : Euh c’est quel service là??? 
Troisième standardiste : C’est l’service des activités culturelles et artistiques tu t’crois où la cousin? 
Quidam : Wesh j’connais cett’voix!
Troisième standardiste : Hé ici au téléphone c’est Cortex, 91 Essonne Pyramides cousin, chuis là en stage de réinsertion-emploi jeune, standardiste à la mairie de Paris cousin! Kestuveux???
Quidam : Hé k’est tu fous! C’est mon clip là ! Arrête t’es en train d’niquer mon morceau!!! 
Cortex : QUOI! Attends j’te prends j’te “BIP!” dans ton “BIP!” et je “BIP!”ta face cousin! T’as le “BIP!” plein de “BIP!” et y a des mecs qui “BIP!” ta “BIP!”. Chuis la pour l’accueil et la promo de la culture alors tu fais pas « BIP » cousin! 
Quidam : Euh SIX!!!! 
Quatrième standardiste : Je peux vous aider?
Quidam (Très vite) : Euh…oui euh voilà quoi chuis français et j’voudrais plus être français! 
Quatrième standardiste : Je vois vous désirez connaître les formalités d’installation dans un pays étranger?
Quidam : Euh non j’veux plus être français en signe de rébellion c’est tout! Mais j’veux rester ici! 
Quatrième standardiste : Je vois, dans ce cas je vais vous transférez au département « Fuite des cerveaux! » 
Quidam : Hé mais j’tai dit que j’partais pas!!!! 
Quatrième standardiste : Non monsieur vous ne m’avez pas compris, ce n’est pas un service d’émigration, c’est un service de colmatage! 

 Marionnette cherche auteurs, désespérément...

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