mercredi 4 mai 2011

Quand les grands écrivains étaient au lycée...

Prof : Bien messieurs, je vais vous rendre votre dernière dissertation. Les notes dans l’ensemble ne sont pas fameuses, aussi, je vais vous demander de redoubler d’effort, car le baccalauréat de français approche à grands pas !
Alors, élève Hugo : c’est plutôt intéressant, vous maîtrisez le sujet, il y a du style et un certain souffle. Cependant j’ai une question : vous aviez deux heures pour faire ce travail, et vous avez réussi à me rendre cinq copies doubles complètes, écrites en alexandrins par-dessus le marché ! Comment avez-vous fait ?

Hugo : Je ne puis bien rêver qu’en contemplant la mer,
Bercé par son ressac et ses remous amers,
C’est ainsi que j’écris, emporté par les plaintes
D’un livide océan qui me remplit de craintes.
Et ma plume m’envoie, frêle esquif naufragé
Au milieu des furies et des vents enragés
Cent fois je m’évanouis, cent fois mon cœur se brise
Aux accents lumineux de ces chants qui me grisent !
Les sirènes dans l’ombre et jusqu’au fond des cieux
Me dictent mes écrits avec la voix de Dieu…
Car le poète tient son génie des étoiles,
Des astres dans la nuit qui pour lui se dévoile ;
Qui parle à travers lui parle à l’humanité,
Nous ne sommes qu’un peuple assoiffé d’unité.
Ma patrie est l’espace au-dessus de l’abîme
Aspirant en son sein les habitants des cimes,
Ces anges devenus de Jésus l’ennemi,
Celui qui pour la gloire, une nuit fut trahi.
Satan se crut vainqueur, mais l’âme fut sauvée,
Et les cris des mourants dans la vague épurée,
Devinrent cris de joie, et dès lors Lucifer,
Terrassé par l’amour retourna aux enfers.
C’est ainsi que témoin du combat le poète,
Celui par tous nommé « le dernier des prophètes »,
Se doit d’être le guide en montrant le chemin
Pour les générations qui formeront demain
Le …

Rimbaud : Mais ta gueule !

Hugo : C’est ici le combat du jour et de la nuit !

Prof : oui, bon, ça va ! De toutes façons je n’ai pas lu votre travail jusqu’au bout ; vous auriez très bien pu élaguer et en enlever les trois quarts sans en altérer la qualité… Alors, par contre, élève Flaubert, vous c’est le contraire ! Vous disposez de deux heures, et vous ne me rendez que dix malheureuses lignes ! J’ai vu votre brouillon, c’est illisible, raturé partout, vous ne savez visiblement pas commencer un récit. Je ne vois malheureusement pour vous qu’un bac pro, vous ne réussirez jamais dans les sciences humaines ! Et puis cette manie de lire chacune de vos phrases à tue-tête ! Vous êtes en devoir surveillé, vous gênez vos petits camarades !
Elève Proust, quant à vous, je dois dire que vous vous dispersez à droite et à gauche. Comme Monsieur Flaubert, vous accusez des faiblesses dans l’écriture, le style n’est pas assez travaillé. Vous devriez demander à l’élève Henri Bayle de vous aider sur ce point, au vu de ses facilités ! Et puis franchement, ces phrases interminables qui prennent une page ! Mais vous vous rendez compte que vous pourriez être bien plus efficace en écrivant court et précis ? Tout ce que vous faites, c’est du temps perdu ! Et puis inutile de pleurer comme une madeleine, ce n’est pas ainsi que vous vous améliorerez !

Proust (reniflant, tout bas) : Un jour ça va se payer ! Tu verras ! Longtemps je me suis couché devant toi, mais c’est fini maintenant !

Prof : Bon, élève Sade… euh … vous viendrez me voir à la fin du cour !

Sade : gnark !

Prof : Idem pour votre voisin, l’élève Houellebecque, qui se croit malin de copier sur vous et qui ne sait pas aligner trois mots sans vulgarité ! Quant à votre petit cousin, Monsieur de Laclos, il y a des idées, cela pourrait passer comme devoir, si vous ne commettiez pas des fautes de liaisons aussi énormes ! Attention, c’est une lacune dangereuse, vous risquez de ne pas avoir votre année !
Quant à monsieur Rousseau… ah ! Monsieur Rousseau ! Vous … mais où est-il passé… ? Pffff ! Encore en train de faire l’école buissonnière ! Elève Arouet ça vous fait rire ? Tenez, je vous rends votre torchon, une vraie petite coïonnerie ! Et puis ne prenez pas votre air candide, vous avez utilisé un pseudonyme, mais j’ai bien reconnu votre écriture !
Bon, élève Baudelaire, voilà autre chose, je vous demande de me faire une dissertation sur la joie de vivre, vous avez vu ce que vous m’avez rendu ? Tout cela frise le hors sujet ! Vous me semblez perdu sur je ne sais quelle péninsule romantique et stérile, isolée de tout ! Vous devriez mettre un peu plus de cœur dans ce que vous faites, vous ne ferez rien de bon en vous complaisant dans un état d’esprit morbide ! Intéressez-vous à des choses gaies pour changer, les fleurs par exemple, ça vous rendra le sourire !

Baudelaire : Ne cherchez plus mon cœur, les bêtes l’ont mangé !

Prof : Bon, cas désespéré je crois…
Quant à vous élève Henri Bayle, comme je le disais tout à l’heure, vous avez un certain talent pour l’écriture, et vous m’avez rendu une copie plutôt satisfaisante, même si parfois l’ennui guette, à certains moments, je vous avoue que j’ai cru lire le code civil tant j’ai trouvé cela assommant ! Et puis, cette manie que vous avez d’écrire avec un stylo noir, ça jure avec le rouge de mes commentaires ! Utilisez plutôt un stylo bleu comme les autres !
Bon, élève Rimbaud je… euh… vous n’avez que huit ans, mais vous avez eu la meilleure note de la classe et… (éclate en sanglots)

Rimbaud : vieux con !

Prof (se reprenant) : pouvez-vous m’expliquer comment vous parvenez, alors que vous n’avez que deux heures, à ne rien faire pendant une heure, à demander des tartines parce que vous avez faim, à les manger, à enfin consentir à écrire et à vous payer le luxe de rendre votre copie en avance, et entièrement rédigée en latin, tout en fournissant le meilleur devoir !?

Rimbaud : j’étais ivre M’sieur (tout bas) et vieux con !

Prof : Mouais… n’essayez pas de me mener en bateau ! Ah ! Nous passons à notre petit camarade d’origine étrangère : Monsieur Dostoïevski ! Bon, Monsieur Dostoïevski pour amuser vos petits amis et faire l’idiot en classe vous êtes le roi, mais pour fournir un travail sérieux… je vous ai observé en récréation, vous passez trop de temps à jouer aux cartes, faites attention, ça va vous perdre, vous ne ferez rien de bon si vous continuez ainsi !

Dostoïevski : Mais Monsieur, ce n’est pas juste, c’est le frère Karamazov qui m’a obligé à jour au poker au monastère !

Prof : Je m’en fiche ! Prenez un peu vos responsabilités ! Je vous préviens, vous êtes trop dissipé, un vrai démon ! A la prochaine remarque je vous renvoie, c’est clair ?
Bien, Saint-Exupéry … mouais, ça ne vole pas très haut tout ça ! Et puis, toujours ailleurs en train de rêvasser, sur une autre planète… revenez un peu parmi nous je vous prie !
Monsieur Racine, ce n’est pas trop mal dans l’ensemble, parfois un peu théâtral, mais ça reste vivant. Par contre, on sent un peu d’affectation dans vos phrases, ça frise la préciosité, vous avez utilisé un dictionnaire pour rédiger votre devoir ?

Racine : oui monsieur, enfin plutôt une encyclopédie

Prof : je vous excuse, car c’est un bon réflexe. C’était l’Universalis ?

Racine : non, la Britannicus.

Prof : Bon, élève Corneille… ah oui, et Monsieur Pocquelin… toujours les deux mêmes ! Quelque chose me gêne, vous me rendez des devoirs avec des styles tellement proches que j’en viens parfois à me demander s’il n’y en a pas un pour copier sur l’autre, ou alors c’est le même qui rédige pour les deux, il faudra que je tire cela au clair !

Corneille (tout bas) : merci de m’avoir écrit mon commentaire à faire sur « l’illusion comique », Jean-Baptiste !

Pocquelin (idem) : Bah, de rien, tu m’as bien fait ma rédaction sur « Dom Juan » !

Prof : Elève Sartre, c’est plutôt correct, mais vous pouvez faire mieux. A ce propos, j'ai appris que vous aviez dû quitter précipitamment la salle d'examen parce que vous étiez malades... des nausées je crois. Vous devriez vous soigner un peu mieux, vous n'avez pas l'air très résistant! Et vous feriez bien de vous appliquer dans votre travail au lieu de pourchasser et de harceler ceux de vos petits camarades qui ne partagent pas vos opinions. J’ai ainsi reçu une plainte du petit Camus, de la classe d’à côté qui vous accuse d'être une vraie peste avec lui !

Sartre : Mais... quelle mouche l'a piqué??? Il se fout de moi! Si vous voulez mon avis …

Prof : Non.
Alors, élève Balzac, moui… je discutais de votre cas avec le proviseur, le Père Goriot. Vous avez un talent certain, mais vous vous perdez dans des développements interminables, sans les laisser mûrir : résultat ils fondent comme peau de chagrin ! Ressaisissez-vous un peu, c’est dommage, car vous avez un style excellent, avec des phrases bien rythmées et sans répétition, il serait dommage de laisser perdre tout cela !

Dostoïevski : Mais Monsieur, Balzac, tout ce qu’il fait c’est excellent !

Prof : Bon Dostoïevski, ça suffit, je vous avais prévenu ! Au piquet !

Dostoïevski : oh non, Monsieur, s’il vous plaît ! Pas le piquet !

Prof : Taisez-vous et obéissez !

(Le jeune élève se dirige alors en tremblant vers le coin du tableau, en sueur, le visage blême. Mais on entend au même moment la sonnerie. Dostoïevski, comprenant qu’il vient d’échapper au terrible châtiment, se laisse tomber à terre, n’osant encore y croire.)

Prof : bon, vous avez de la chance, sauvé à la dernière minute par la cloche, c’est bon pour cette fois, mais à la prochaine occasion, je ne vous manquerai pas !

(Les élèves sortent dans un brouhaha général, Sade et Houellebecque prenant soin de se mêler à la foule sans se faire voir du prof. Ce dernier reste seul dans la salle, bientôt rejoint par le Proviseur)

Proviseur : excusez-moi pour ce petit retard, je viens juste de me débarrasser d’un parent d’élève assez encombrant, un certain monsieur Lear d’origine anglaise et que vous connaissez peut-être. Le pauvre a l’air un peu dérangé ; il a absolument tenu à me faire part de ses relations conflictuelles avec ses filles qui sont scolarisées ici, et qui semblent en plein âge ingrat. Je ne sais pourquoi il voulait à tout prix se confier à moi !

Prof : Ah, Père Goriot, je viens juste de rendre les devoirs. Cette promotion m’inquiète un peu ; je sens beaucoup de laisser-aller et peu d’assiduité dans ce qu’ils font, je ne sais que faire avec elle ! Bon, je vous laisse, je vais me consacrer à la composition d’un nouveau poème, génial comme il se doit…

Père Goriot : je vous fais confiance, Monsieur de Sainte-Beuve, je suis sûr que vous saurez former comme il faut ces jeunes pour qu’ils puissent prendre le relais de leurs glorieux aînés !





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